mardi 8 août 2017

Lettre du Général de l’Armée Française Jean-Marie Faugère à propos des maffieux qui nous dirigent – juillet 2017


Avec le recul, qui adoucit le ton de la récrimination et permet davantage de lucidité, on ne peut que juger aberrante la sortie du Président de la République envers la personne du général Pierre de Villiers, à un tel moment de surcroît, la veille de la parade militaire du 14 juillet, fête nationale.
On sait le pouvoir des symboles pour le chef de l’Etat. Celui-ci est désastreux pour les militaires. Car l’humiliation publique infligée au chef d’état-major des armées a été ressentie par chaque officier, chaque sous-officier, chaque soldat, marin et aviateur comme une agression personnelle, une atteinte à la manière dont chacun remplit quotidiennement sa mission exigeante au service de la France et de la protection des Français, dans des conditions matérielles connues et reconnues par la très grande majorité de nos concitoyens comme très difficiles pour ne pas dire souvent inacceptables.
Le candidat à l’élection présidentielle a fait naître bien des espoirs par ses propos de campagne sur l’état alarmant des armées, leur manque de moyens et la nécessité de rehausser "l’effort de défense". Le nouvel élu dès sa prise de fonction a manifesté par divers gestes ou attentions son empathie, apparente, pour la chose militaire et ses serviteurs ; la liste en est connue. A la réflexion, tout ceci n’était-il que promesses de campagne puis gestuelle de communiquant de la part du chef des armées ?
Car, nous, militaires, sommes des gens simples qui croyons à la parole d’un chef de l’Etat surtout lorsqu’il se présente en rupture avec ses prédécesseurs non seulement par les discours qui se veulent l’expression d’une pensée pragmatique rendue crédible par les actes, mais aussi par les méthodes qu’il a jugées d’une autre époque pour bien gouverner aujourd’hui.
Aussi le monde militaire avait-il cru en la promesse de jours enfin meilleurs et d’une priorité accordée aux armées dans leurs missions, dans leur vie quotidienne et donc par un effort budgétaire en proportion.
Tout s’est écroulé le temps d’un discours public prononcé devant tous les subordonnés du général de Villiers mais, également, devant les attachés de défense sur la place de Paris, inélégance supplémentaire et gratuite. Discours mensonger par ailleurs puisque le chef d’état-major n’a nullement rendu publics des propos tenus à huis clos devant une commission parlementaire.
La fuite organisée par un député sûrement bien intentionné ne peut honnêtement lui-être mise à charge. Et de fait, même si certains propos tenus par le général étaient crus, au moins avaient-ils la rude sincérité du soldat. Ils traduisaient, aussi, le désarroi et le sentiment d’avoir été trahi puisque, semble-t-il, la question budgétaire était une condition mise par le chef d’état-major à la prolongation de ses fonctions, acquise juste avant cette crise.
Discours mensonger aussi, car les 850 millions d’euros à charge désormais de l’enveloppe budgétaire initiale de la défense ne peuvent être considérés comme une mesure "indolore". A très court terme sans doute, encore faudrait-il avoir l’assurance d’ici la fin de l’année que l’impact ne sera pas porté sur les crédits de la vie courante ou de la maintenance des matériels.
La majorité des coupes devraient être appliquées sur les investissements avec des conséquences qui seront loin d’être anodines car, par le jeu de la technique budgétaire (1), ce pourrait être plusieurs milliards d’euros de commandes ou de passations de contrat de développement qui se verront reportés à plus tard.
Mécanique désastreuse qui court depuis plusieurs décennies et qui vaut aux armées d’attendre indéfiniment le renouvellement de ses matériels, dont certains majeurs (véhicules blindés et hélicoptères de l’armée de terre par exemple, avions ravitailleurs de l’armée de l’air, drones, bâtiments de la marine, etc.) ou, quand ils arrivent enfin, c’est à dose homéopathique, avec des livraisons aux forces étalées sur plus d’une décennie contraignant les unités à servir un ensemble d’équipements hétéroclites et procédant parfois de l’échantillonnage…
On reste confondu devant ce qu’il faut bien appeler une faute politique de la part du chef de l’Etat mais aussi de son gouvernement. Car, il semble que le général de Villiers ait appris cette mesure par des voies détournées ou par la presse. Ainsi, sur une mesure qui contrevenait aux décisions actées par la loi de programmation militaire révisée en 2015 stipulant que les surcoûts des opérations extérieures et désormais intérieures seraient assumés par la réserve interministérielle (2), le chef d’état-major n’avait pas été apparemment consulté.
Aucun échange, peut-on supposer, avec sa ministre de tutelle, Madame F. Parly pourtant ancienne de la Direction du budget et ancienne secrétaire d’Etat au budget, étrangement silencieuse tout au long de ce drame. Etait-elle dans la confidence ? Cela témoigne de la confiance que l’on s’accorde à ce niveau de l’Etat, entre membres du gouvernement déjà et avec les grands subordonnés du ministre.
Sommes-nous devant un cas d’école avec un tel exécutif où se mêlent amateurisme, incompétence, arrogance et peut-être aussi cynisme ? Car enfin, tout homme politique ne peut ignorer les mises en garde devant le manque de moyens et de crédits que, depuis des années et des législatures, tous les chefs d’état-major délivrent devant les élus du peuple au cours de leurs auditions par les commissions de défense. Sans être entendus des différents exécutifs qui se succèdent jusqu’aux événements tragiques de 2015 et 2016. Personne ne peut ignorer la situation actuelle des forces armées.
Produire une telle annonce, par la voix du ministre de l’action et des comptes publics (3), sachant que les armées en ignorent tout, relève de l’arrogance et du plus profond mépris. Surtout, elle démontre que les anciennes pratiques gouvernementales – au moins vis-à-vis des armées - pourtant sévèrement critiquées par le candidat à l’élection présidentielle, ont toujours cours et donc que rien ne change.
Annonce qui avait forcément l’aval du chef de l’Etat dans un gouvernement dont les actes sont placés sous haute surveillance présidentielle, lequel ne s’en était pas entretenu au préalable avec le chef d’état-major des armées.
Et ce n’est pas l’annonce tardive de madame Parly déclarant la levée partielle du gel de 1,8 milliard d’euros qui changera l’état d’esprit du monde militaire, puisque le Président lui-même l’a assuré de bénéficier de l’intégralité des crédits votés au budget de 2017. Ce gel est donc totalement abusif et participe encore une fois de la guérilla budgétaire traditionnelle de Bercy. Il devrait donc être levé en totalité ainsi que la réserve ministérielle débloquée, à cette heure, si on veut que les actes concordent avec le discours.
Le problème de fond, in fine, vient de la classe politique en général et de son inculture militaire inadmissible quand on sollicite la fonction présidentielle ou ministérielle, d’autant qu’elle est assez souvent doublée d’un mépris pour la chose militaire considérée à la seule mesure d’un faire-valoir avantageux à la face du monde lors des grands rendez-vous internationaux. Si cette culture était un tant soit peu assimilée, le Président aurait su qu’on n’admoneste pas un chef devant ses subordonnés, pire en public, et qu’on ne traite pas des soldats avec autant de désinvolture et de mépris.
Les membres du gouvernement auraient porté une plus grande attention aux promesses de campagne. D’un autre côté, elle révèle également l’indifférence pour ne pas dire l’hostilité d’une part non négligeable de la haute fonction publique au sein des administrations et principalement à Bercy.
Une parfaite illustration de cet état d’esprit nous a été délivrée par le porte-parole du gouvernement qui se répand, après coup, en propos désobligeants sur la personne du général de Villiers. Si vraiment, bien avant la genèse de cette affaire, les reproches étaient réels et déjà présents sur l’attitude du chef d’état-major, pourquoi l’avoir reconduit une année supplémentaire ? Pourquoi avoir dit que, bien sûr, il pouvait rester en poste ? Tout ceci traduit-il, de la part d’un très proche dit-on, la pensée du Président ?
Et pourquoi le Président, encore, a-t-il eu besoin de mettre les points sur les "i" en déclarant que la défense du budget, c’est la ministre des armées, cantonnant de la sorte le chef d’état-major au strict domaine opérationnel ? C’est oublier que le chef d’état-major des armées détient des responsabilités d’ordre budgétaire dans l’organisation financière de l’Etat depuis toujours, rappelées et précisées par la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2006. Comme responsable de deux des quatre programmes de la "mission défense" du ministère : "emploi des forces" (fonctionnement et vie courante, maintenance des matériels) et "équipements", dernier domaine partagé avec le délégué général pour l’armement (DGA).
C’est oublier aussi que, seul après le chef des armées, le chef d’état-major est responsable devant ses troupes de la satisfaction de leurs besoins matériels, qu’il est le seul connaisseur, à un tel niveau dans l’administration, des besoins spécifiques du personnel, qu’il est redevable moralement de la défense de leurs intérêts particuliers et collectifs et des conditions de leur emploi en opérations. Il est, pour reprendre un langage que comprend bien le milieu politique, le chef syndicaliste des militaires.
Or, s’il ne se bat pas en connaissance de cause pour l’obtention des crédits, qui le fera avec autant de compétence et surtout de cœur ? M. Macron a parlé au général de Villiers comme jamais il n’a parlé - et sans doute comme jamais il ne le fera – à un chef de centrale syndicale.
Après ce gâchis, il reste désormais à rétablir la confiance entre le chef des armées et ces dernières. Chose difficile car l’affaire laissera des traces indubitablement, à la mesure de la déception et de promesses qui semblent n’avoir pas été tenues. Le rôle du général Lecointre, nouveau chef d’état-major des armées, s’en trouve singulièrement compliqué, ardu et subtil. Il est attendu désormais par ses troupes.
Car, il ne devra pas à leur égard laisser croire qu’il est en phase avec cette mesure restrictive de crédits et d’autres qui pourraient advenir. Il devra se montrer ferme vers l’exécutif, comme l’homme de convictions qu’il est, permet de le supposer. Il devra surtout démontrer à des hauts responsables indifférents à la cause militaire et aux personnels qui la servent, qu’on ne joue pas impunément avec eux, que ce soit par désinvolture, par inculture ou par cynisme. Que les armées restent, quoique certains en pensent, l’ultima ratio regum et que l’heure peut-être approche où elles le manifesteront par nécessité.
(1) Par la mécanique budgétaire "autorisations d’engagement/crédits de paiement (AE/CP)".
(2) A laquelle les armées participent cependant à hauteur d’environ 20 % de son montant.
(3) Anciennement, ministre du budget.




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