Avec le recul, qui adoucit le ton de la
récrimination et permet davantage de lucidité, on ne peut que juger aberrante
la sortie du Président de la République envers la personne du général Pierre de
Villiers, à un tel moment de surcroît, la veille de la parade militaire du 14
juillet, fête nationale.
On sait le pouvoir des symboles pour le
chef de l’Etat. Celui-ci est désastreux pour les militaires. Car l’humiliation
publique infligée au chef d’état-major des armées a été ressentie par chaque
officier, chaque sous-officier, chaque soldat, marin et aviateur comme une
agression personnelle, une atteinte à la manière dont chacun remplit
quotidiennement sa mission exigeante au service de la France et de la
protection des Français, dans des conditions matérielles connues et reconnues
par la très grande majorité de nos concitoyens comme très difficiles pour ne
pas dire souvent inacceptables.
Le candidat à l’élection présidentielle a
fait naître bien des espoirs par ses propos de campagne sur l’état alarmant des
armées, leur manque de moyens et la nécessité de rehausser "l’effort de
défense". Le nouvel élu dès sa prise de fonction a manifesté par divers
gestes ou attentions son empathie, apparente, pour la chose militaire et ses
serviteurs ; la liste en est connue. A la réflexion, tout ceci n’était-il que
promesses de campagne puis gestuelle de communiquant de la part du chef des
armées ?
Car, nous, militaires, sommes des gens
simples qui croyons à la parole d’un chef de l’Etat surtout lorsqu’il se
présente en rupture avec ses prédécesseurs non seulement par les discours qui
se veulent l’expression d’une pensée pragmatique rendue crédible par les actes,
mais aussi par les méthodes qu’il a jugées d’une autre époque pour bien
gouverner aujourd’hui.
Aussi le monde militaire avait-il cru en la
promesse de jours enfin meilleurs et d’une priorité accordée aux armées dans
leurs missions, dans leur vie quotidienne et donc par un effort budgétaire en
proportion.
Tout s’est écroulé le temps d’un discours
public prononcé devant tous les subordonnés du général de Villiers mais,
également, devant les attachés de défense sur la place de Paris, inélégance
supplémentaire et gratuite. Discours mensonger par ailleurs puisque le chef
d’état-major n’a nullement rendu publics des propos tenus à huis clos devant
une commission parlementaire.
La fuite organisée par un député sûrement
bien intentionné ne peut honnêtement lui-être mise à charge. Et de fait, même
si certains propos tenus par le général étaient crus, au moins avaient-ils la
rude sincérité du soldat. Ils traduisaient, aussi, le désarroi et le sentiment
d’avoir été trahi puisque, semble-t-il, la question budgétaire était une
condition mise par le chef d’état-major à la prolongation de ses fonctions,
acquise juste avant cette crise.
Discours mensonger aussi, car les 850
millions d’euros à charge désormais de l’enveloppe budgétaire initiale de la
défense ne peuvent être considérés comme une mesure "indolore". A
très court terme sans doute, encore faudrait-il avoir l’assurance d’ici la fin
de l’année que l’impact ne sera pas porté sur les crédits de la vie courante ou
de la maintenance des matériels.
La majorité des coupes devraient être
appliquées sur les investissements avec des conséquences qui seront loin d’être
anodines car, par le jeu de la technique budgétaire (1), ce pourrait être
plusieurs milliards d’euros de commandes ou de passations de contrat de développement
qui se verront reportés à plus tard.
Mécanique désastreuse qui court depuis
plusieurs décennies et qui vaut aux armées d’attendre indéfiniment le
renouvellement de ses matériels, dont certains majeurs (véhicules blindés et
hélicoptères de l’armée de terre par exemple, avions ravitailleurs de l’armée
de l’air, drones, bâtiments de la marine, etc.) ou, quand ils arrivent enfin,
c’est à dose homéopathique, avec des livraisons aux forces étalées sur plus
d’une décennie contraignant les unités à servir un ensemble d’équipements
hétéroclites et procédant parfois de l’échantillonnage…
On reste confondu devant ce qu’il faut bien
appeler une faute politique de la part du chef de l’Etat mais aussi de son
gouvernement. Car, il semble que le général de Villiers ait appris cette mesure
par des voies détournées ou par la presse. Ainsi, sur une mesure qui
contrevenait aux décisions actées par la loi de programmation militaire révisée
en 2015 stipulant que les surcoûts des opérations extérieures et désormais
intérieures seraient assumés par la réserve interministérielle (2), le chef
d’état-major n’avait pas été apparemment consulté.
Aucun échange, peut-on supposer, avec sa
ministre de tutelle, Madame F. Parly pourtant ancienne de la Direction du
budget et ancienne secrétaire d’Etat au budget, étrangement silencieuse tout au
long de ce drame. Etait-elle dans la confidence ? Cela témoigne de la confiance
que l’on s’accorde à ce niveau de l’Etat, entre membres du gouvernement déjà et
avec les grands subordonnés du ministre.
Sommes-nous devant un cas d’école avec un
tel exécutif où se mêlent amateurisme, incompétence, arrogance et peut-être
aussi cynisme ? Car enfin, tout homme politique ne peut ignorer les mises en
garde devant le manque de moyens et de crédits que, depuis des années et des
législatures, tous les chefs d’état-major délivrent devant les élus du peuple
au cours de leurs auditions par les commissions de défense. Sans être entendus
des différents exécutifs qui se succèdent jusqu’aux événements tragiques de
2015 et 2016. Personne ne peut ignorer la situation actuelle des forces armées.
Produire une telle annonce, par la voix du
ministre de l’action et des comptes publics (3), sachant que les armées en
ignorent tout, relève de l’arrogance et du plus profond mépris. Surtout, elle
démontre que les anciennes pratiques gouvernementales – au moins vis-à-vis des
armées - pourtant sévèrement critiquées par le candidat à l’élection
présidentielle, ont toujours cours et donc que rien ne change.
Annonce qui avait forcément l’aval du chef
de l’Etat dans un gouvernement dont les actes sont placés sous haute
surveillance présidentielle, lequel ne s’en était pas entretenu au préalable
avec le chef d’état-major des armées.
Et ce n’est pas l’annonce tardive de madame Parly déclarant la levée partielle du gel de 1,8 milliard d’euros qui changera l’état d’esprit du monde militaire, puisque le Président lui-même l’a assuré de bénéficier de l’intégralité des crédits votés au budget de 2017. Ce gel est donc totalement abusif et participe encore une fois de la guérilla budgétaire traditionnelle de Bercy. Il devrait donc être levé en totalité ainsi que la réserve ministérielle débloquée, à cette heure, si on veut que les actes concordent avec le discours.
Et ce n’est pas l’annonce tardive de madame Parly déclarant la levée partielle du gel de 1,8 milliard d’euros qui changera l’état d’esprit du monde militaire, puisque le Président lui-même l’a assuré de bénéficier de l’intégralité des crédits votés au budget de 2017. Ce gel est donc totalement abusif et participe encore une fois de la guérilla budgétaire traditionnelle de Bercy. Il devrait donc être levé en totalité ainsi que la réserve ministérielle débloquée, à cette heure, si on veut que les actes concordent avec le discours.
Le problème de fond, in fine, vient de la
classe politique en général et de son inculture militaire inadmissible quand on
sollicite la fonction présidentielle ou ministérielle, d’autant qu’elle est
assez souvent doublée d’un mépris pour la chose militaire considérée à la seule
mesure d’un faire-valoir avantageux à la face du monde lors des grands
rendez-vous internationaux. Si cette culture était un tant soit peu assimilée,
le Président aurait su qu’on n’admoneste pas un chef devant ses subordonnés,
pire en public, et qu’on ne traite pas des soldats avec autant de désinvolture
et de mépris.
Les membres du gouvernement auraient porté
une plus grande attention aux promesses de campagne. D’un autre côté, elle
révèle également l’indifférence pour ne pas dire l’hostilité d’une part non
négligeable de la haute fonction publique au sein des administrations et
principalement à Bercy.
Une parfaite illustration de cet état
d’esprit nous a été délivrée par le porte-parole du gouvernement qui se répand,
après coup, en propos désobligeants sur la personne du général de Villiers. Si
vraiment, bien avant la genèse de cette affaire, les reproches étaient réels et
déjà présents sur l’attitude du chef d’état-major, pourquoi l’avoir reconduit
une année supplémentaire ? Pourquoi avoir dit que, bien sûr, il pouvait rester
en poste ? Tout ceci traduit-il, de la part d’un très proche dit-on, la pensée
du Président ?
Et pourquoi le Président, encore, a-t-il eu
besoin de mettre les points sur les "i" en déclarant que la défense
du budget, c’est la ministre des armées, cantonnant de la sorte le chef
d’état-major au strict domaine opérationnel ? C’est oublier que le chef
d’état-major des armées détient des responsabilités d’ordre budgétaire dans
l’organisation financière de l’Etat depuis toujours, rappelées et précisées par
la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2006. Comme
responsable de deux des quatre programmes de la "mission défense" du
ministère : "emploi des forces" (fonctionnement et vie courante,
maintenance des matériels) et "équipements", dernier domaine partagé
avec le délégué général pour l’armement (DGA).
C’est oublier aussi que, seul après le chef
des armées, le chef d’état-major est responsable devant ses troupes de la
satisfaction de leurs besoins matériels, qu’il est le seul connaisseur, à un
tel niveau dans l’administration, des besoins spécifiques du personnel, qu’il
est redevable moralement de la défense de leurs intérêts particuliers et
collectifs et des conditions de leur emploi en opérations. Il est, pour
reprendre un langage que comprend bien le milieu politique, le chef
syndicaliste des militaires.
Or, s’il ne se bat pas en connaissance de
cause pour l’obtention des crédits, qui le fera avec autant de compétence et
surtout de cœur ? M. Macron a parlé au général de Villiers comme jamais il n’a
parlé - et sans doute comme jamais il ne le fera – à un chef de centrale
syndicale.
Après ce gâchis, il reste désormais à
rétablir la confiance entre le chef des armées et ces dernières. Chose
difficile car l’affaire laissera des traces indubitablement, à la mesure de la
déception et de promesses qui semblent n’avoir pas été tenues. Le rôle du
général Lecointre, nouveau chef d’état-major des armées, s’en trouve
singulièrement compliqué, ardu et subtil. Il est attendu désormais par ses
troupes.
Car, il ne devra pas à leur égard laisser
croire qu’il est en phase avec cette mesure restrictive de crédits et d’autres
qui pourraient advenir. Il devra se montrer ferme vers l’exécutif, comme
l’homme de convictions qu’il est, permet de le supposer. Il devra surtout
démontrer à des hauts responsables indifférents à la cause militaire et aux
personnels qui la servent, qu’on ne joue pas impunément avec eux, que ce soit
par désinvolture, par inculture ou par cynisme. Que les armées restent, quoique
certains en pensent, l’ultima ratio regum et que l’heure peut-être approche où
elles le manifesteront par nécessité.
(1) Par la mécanique budgétaire
"autorisations d’engagement/crédits de paiement (AE/CP)".
(2) A laquelle les armées participent
cependant à hauteur d’environ 20 % de son montant.
(3)
Anciennement, ministre du budget.
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