jeudi 3 août 2017

LA PORTE DE L’ENFER - 2eme partie - 6 -


Le préposé aux archives, un homme d’une quarantaine d’années au menton
tombant, remonta ses petites lunettes sur son front.
« C’est que j’ai rien contre vous aider, ma p’tite demoiselle…Mais vous faire voir
les papiers, comme ça, sans autorisation..Vous connaissez les règles, même pour
quelqu’un de la maison, faut un mot du commissaire !»
Il suait à grosses gouttes et s’épongeait le front. La salle des archives, enterrée au
deuxième sous-sol, était surchauffée.
« C’est si embarrassant, pour moi, de vous demander cela … Mais j’ai peur
qu’elle commette une bêtise ! Elle était si bouleversée quand elle est partie…Je
n’ai pas eu la présence d’esprit de lui demander où c’était, elle s’est échappée
si subitement…»
Il avait beau rompu à ce genre de requête, il sentit son coeur se pincer. La petite,
d’habitude si aimable, semblait tellement fébrile que lui opposer un refus aurait
été une façon fort déplaisante de commencer sa journée.
« C’était son père, vous comprenez… »
Il lui tendit un mouchoir.
- La pauvre enfant…
- Oh, s’il vous plait ! Je vous jure, je n’en aurai que pour un moment. Je peux
même rester cachée derrière cette armoire, si cela peut vous faire prendre
moins de risques »
Il s’avança vers une des étagères puis, après avoir fouillé dans un tas de papiers,
sortit un dossier et le lui tendit.
« Venez par-là ! »
Elle le suivit vers un petit débarras qui servait d’isoloir.
« Faites attention quand vous sortirez. Ne repassez pas par ici, tournez plutôt à
droite et vous trouverez au fond un escalier qui donne sur une rue discrète.
- Comment vous remercier… »
Elle attendit qu’il eût fermé la porte puis commença la lecture. Quelque six
feuillets avaient été tapés à ma machine, selon les usages de présentation et de
style auxquels elle même se conformait.
Son regard fut attiré par un nom, qui revenait régulièrement.
« Eugène Charlier ».
Elle le prononça plusieurs fois en découpant les syllabes.
Eugène Charlier…
Au fur et à mesure que les mots prenaient corps, elle sentit son pouls s’accélérer.
Ses mains tremblaient. Elle était obligée de relire deux fois les mêmes phrases, de
les articuler presque, mot à mot, pour se convaincre que tout cela n’était point le
fruit de son imagination.
C’était à peine croyable ! On avait retrouvé l’homme enseveli sous du plâtre
séché, au fond d’un moule creux de la dimension d’un cercueil. Les policiers
avaient relevé que le conduit qui avait versé la matière bouillante n’avait
conservé d’autres empruntes que celles du défunt, crédibilisant ainsi l’hypothèse
de la mort volontaire. Le corps avait été découvert par une concierge. La vision
d’une main, dépassant hors du cercueil, avait déclenché ses hurlements.
Des perles de sueur coulèrent sur son front. Elle pouvait presque visualiser la scène
: le vieil homme allongé dans sa tombe, tenant dans la main la cordelette. Le
froid de la nuit, incrusté dans les pierres de l’atelier. Pas même un rai de lumière,
rien qu’un mur dressé devant lui pour dernier souvenir. Puis la lave brûlante,
recouvrant tout, emplissant les cavités, coulant à même la gorge…
Se relevant, elle referma le dossier, le glissa sous son chemisier et, sur la pointe des
pieds, quitta les lieux.
Il était huit heures trente. Dans moins de dix minutes le flot des employés allait se
déverser dans les couloirs.
Elle courut au dehors, traversa la cour pavée puis se retourna avant de franchir
les grilles. C’était la première fois qu’on ne la trouverait point, à l’heure

ponctuelle, penchée sur son bureau.


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