Elle traversa les
longs couloirs. On n’avait pas encore allumé, le quai des orfèvres
respirait encore
la tiédeur de la nuit. Elle croisa comme chaque matin une vieille
femme, qui, en
chantonnant, récurait les parquets.
Elle poussa la
porte du bureau et frémit.
Elle venait de
surprendre une respiration, toute proche.
« Qui est là ? »
L’ampoule dirigée
vers elle l’aveugla un instant. Le commissaire se tenait assis,
dans la pénombre.
Il était vêtu d’un grand imperméable, et avait gardé sur le
crâne un chapeau
qui retombait sur ses oreilles.
« Je ne
m’attendais pas à vous voir !, formula Anna en se forçant presque.
- J’espère ne pas
vous avoir fait peur…, répondit-il d’une voix mielleuse. Vous
arrivez toujours
la première, Mademoiselle Crémieux. Toujours avant l’heure…
- Je…C’est que
j’habite à côté et…
- Je sais ».
Il revissa son
chapeau, laissant apparaître une touffe de mèches négligées, au
travers du front.
« Voyez-vous,
Mademoiselle Crémieux, cette maison a besoin de se préoccuper
de celles et ceux
qui la servent… »
Anna n’osait
affronter son regard. Le ton patelin qu’il utilisait ne lui disait rien qui
vaille.
« Nous sommes quelques-uns,
ici, à avoir remarqué avec quel entrain vous
semblez vous
investir dans votre tâche. Contrairement à bien des femmes de
votre âge, jamais
vous ne vous plaignez. Vous êtes toujours la première arrivée, et
très souvent la
dernière à partir…
- C’est que je
n’ai rien de mieux à faire… »
Il la dévisagea
d’un air circonspect.
« En effet, qu’avons-nous
de mieux à faire que nous investir de notre mieux ? Au
fond, nous sommes
tous ici pour cela… Pour savoir… Chercher… Vous êtes bien
de mon avis ?
- Oui, ponctua-t-elle
en se retenant de trahir la moindre émotion.
Elle ne voyait
absolument pas vers quoi il voulait l’entraîner, mais il ne lui
échappait point
que cette conversation était lourde de sous entendus.
« Voyez-vous,
Mademoiselle Crémieux, les temps dans lesquels nous vivons
regorgent de
vieilles haines qui, un beau jour, se réveillent. Ces secrets mettent
en danger la
quiétude des braves gens. Ici, nous devons faire face à des
énigmes que nous
ne pouvons parfois pas résoudre par nos propres moyens…
- Je ne fais pas
attention à ce que j’écris, Monsieur le commissaire.
- Ne me dites pas
que parfois vous ne songez point à ce qui se terre sous ces
rapports que vous
frappez ! C’est humain, tellement humain, de gratter ce
qu’il y a
derrière les choses… »
Elle le fixa
profondément, comme pour lui faire comprendre que même sous la
contrainte elle
garderait le silence.
« Au fond chacun
d’entre nous, ici, s’y applique … On se dit que toute cette
paperasserie ne
sert à rien, et on se trompe ! Il est de notre devoir de faire rendre
l’âme au passé !
Pour mieux nous préserver… Pour que nos enfants, et les enfants
de nos enfants
puissent dormir en paix ! »
Elle le vit se
lever lentement, et recula instantanément vers le mur.
« Puissiez-vous
un jour pénétrer le sens de ce que je viens de vous dire », conclut il
en réajustant son
pardessus. Et il referma la porte derrière lui, l ‘abandonnant à un
étrange
pressentiment.
Ses yeux venaient
de tomber sur une pile de journaux découpés, abandonnés sur
son bureau.
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