L’antre devint leur domaine. Chaque
fois Suzanna insistait pour que Laure la suive, chaque fois Laure résistait.
Puis cédait.
Le couple se forma ainsi, à trois.
Suzanna attirait Laure, puis l’ignorait. Pierre, quant à lui, ne décidait de
rien, mais la retenait. Mieux : s’en préoccupait. A sa manière, frustre, mais
efficace. Avec Suzanna, il inspirait de l’air et expirait du feu. Envers Laure,
au contraire, son souffle était comme retenu à un fil invisible.
L’été passa, égrenant ses jours et
ses nuits de flamme sous les effluves de fumées d’alcools. Les corps libérés se
mêlaient le long du fleuve aux eaux salies. La rue était fête, en ces années
suspendues au-dessus du gouffre. Qui aurait songé se pencher, alors qu’au
firmament brillaient d’aveuglantes étoiles ?
Charles, le petit frère comme
l’appelait Pierre, apparut un soir, et avec lui l’automne. Ils étaient tous
trois affalés à même le sol, cheveux relâchés et chemises ouvertes autour d’un
Monopoly. Pierre, c’était presque un jeu pour les deux sœurs, remportait toutes
les mises, palpant les faux billets de cinq cent avec un appétit insatiable.
Elles aimaient le voir ainsi, gourmant, rieur et incroyablement sexué, avec sa
défroque des beaux quartiers maculée de tâches. Les prendre l’une par la
taille, l’autre par la nuque, masser l’une et embrasser l’autre, dans un même
mouvement généreux. Toucher était pour lui un langage dont elles se montraient
ensemble et différemment dépendantes.
Ce fut Laure qui, alertée par le
courant d’air occasionné par la porte ouverte, leva la première les yeux. Celui
qu’elle surprit se tenait là, penché. Ce qu’elle vit lui fit aussitôt mal.
« Te voilà donc, petit frère,
l’accueillit Pierre, tendant son propre verre sans se relever, tant il avait
avalé d’alcool.
Suzanna lança les dés, et exulta.
« Rue de la Paix ! Rue de la Paix !
- La rue qui mène droit au magot,
ponctua Charles.
Elle s’était précipitée sur la
banque, et de ses longs doigts aux ongles vernis attrapait un à un les billets.
« A deux on a tout, fit-elle en
sautant au cou de Pierre.
- A deux on rachète tout,
répondit-il en contenant son entrain.
- Il est loin, le temps de la
rédemption, murmura Charles en observant Laure à la dérobée, qui lui sourit.
- Toujours le mot pour rire, petit
frère »
Charles s’appuyait sur une canne.
Son visage pâle était traversé de part en part par une fine cicatrice, passant au-dessus
de l’œil droit en direction des lèvres, et se perdant dans les poils d’une
épaisse barbe rousse. Il n’avait pas vingt ans, mais semblait déjà las que
d’avoir trop vécu. C’est ce que sentit Laure, qui reconnut la peine sous le
rictus, et la beauté désolée dans le regard.
« As-tu bien vécu ?, questionna
Pierre.
- Aussi vrai que tu es ivre, je suis
sobre, répondit Charles en s’affalant sur le canapé. Et désarmé. Aussi nu que
les branches en hiver, à la fin de l’été.
- Tu pourrais parler simple ? Par
égard pour ces charmantes demoiselles… Mais je te préviens, petit saligaud. La
brune aux billets, elle est à moi !
Charles fixa Suzanna, qui plissa ses
yeux en amandes et pinça ses lèvres.
« Enchantée, se contenta-t-elle de
dire, enserrant son gain contre son cœur.
- Tout est dit ! », lui
répondit Charles.
Puis, se tournant vers Laure :
« Et toi, belle enfant ?
- Je suis la sœur de Suzanna… La
jumelle…
- T’as bien un nom ?
- Laure.
- Laure. L’aurore.
- L’or. Money !, ricana Suzanna en
se frottant contre Pierre.
- A livre ouvert ! Amusant !,
ponctua Charles le visage fermé. C’est bien frangin, ça marche pour toi. Elle
est belle, et bien carrossée. T’investis comme il faut. Content pour toi.
- C’est du costaud, maugréa Suzanna
en redressant sa poitrine.
- Du costaud. Mais qui se raye. Faut
faire gaffe !, reprit Charles.
- Pas envie d’abimer ça !, répondit
Pierre en posant sa main sur les hanches de Suzanna.
- Une mauvaise manœuvre, et elle
s’abime toute seule, frangin ….
- Hey vous deux, s’exclama Suzanna
en riant. Je suis pas si conne, je sais conduire !
- En marche avant, certes, ricana
Pierre.
- La marche arrière c’est plus
tordu, continua Charles. Faut être souple ! Et quand tu regardes dans le
miroir, t’as intérêt à pas trop fixer ton cul !
- Pourquoi il dit ça, lui ?, se renfrogna-t-elle.
»
Les deux frères éclatèrent de rire.
« Te vexe pas, Mélusine. J’ai la
vanne facile, au premier abord. Mais comme dit Pierre, j’ai mes raisons. Et
elles sont pas forcément mauvaises… »
Il s’approcha du couple.
« Alors, à deux vous rachetez tout ?
- Je suis riche, fit Suzanna
- C’est bien. C’est le minimum
requis.
- Elle est riche, mais pas que là.
Et pas qu’elle. L’autre aussi. En package : un pactole ! Les filles Lewit, ça
te parle ?
- Le ministre ? »
Suzanna découvrit un sourire
éclatant.
« Les chiens…
- Font des chiennes et des chattes,
s’esclaffa-t-elle.
- Joli mot ! Mais pas que… De
l’esprit, crénom, de l’esprit !, répondit Charles.
- Et du coffre, reprit elle, se
redressant de toute sa taille et posant le pied sur le Monopoly.
- La partie est finie ?, osa Laure.
- Elle ne fait apparemment que
commencer… », murmura Charles.
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