Ce fut un 25 juin, quatrième soir de
l’été 1974. Pompidou était mort et enterré à peine trois mois auparavant.
Auguste, l’un des tous premiers informés, avait, pour la première fois de sa
vie, pleuré à chaudes larmes à la cérémonie funèbre, et exposé à la France
entière le visage d’un homme qui n’était pas sans cœur.
La campagne, brève et exaltante,
quatre semaines tout au plus, fut celle d’un rêve volé à défaut d’être brisé.
Deux cent mille petits bulletins, c’est à dire ceux des DOM TOM et des français
de l’étranger, séparèrent les deux candidats, arrivés au coude à coude au
deuxième tour. 50,8 contre 49,2 : il s’en était fallu d’un cheveu pour que les
Lewit déguerpissent de leurs palais dorés. Mitterrand portait le rêve, celui de
68, celui-là qui avait été habilement récupéré par le défunt président. Il
était prêt, il avait l’âge idéal. Les foules qu’il rassemblait étaient
incroyablement galvanisées. Jamais, avoua-t-il par la suite, il ne retrouva
cette fougue et cette force, fruits de l’adéquation parfaite d’un homme seul
face à ce qui aurait dû être son moment.
En apparence encore plus seul, son
compétiteur eut l’avantage, outre de tenir les Finances, de bien mieux
maîtriser sinon son époque, du moins l’art d’y répondre admirablement par la
forme. Habile communicant n’écoutant que lui-même, arrivant à point nommé pour
briser le jeu en vase clos des dinosaures conservateurs, il emporta tout sur
son passage , bénéficiant des soutiens du président 50 défunt en lutte avec ce
Chaban qu’ils balayèrent avec hargne.
Giscard devint le troisième
Président de la Vème. Ministre de la Justice sous Pompidou, Auguste avait
rejoint la conjuration des 43 signataires gaullistes ralliés à son panache. Il
en fut récompensé, en étant confirmé à ce même portefeuille. Loin de s’échouer,
le rêve s’assoupit nonchalamment dans les premiers mois ensoleillés d’un
septennat né sous les oriflammes de la modernité. Mitterrand maugréa quelques
instants une fausse défaite qu’il avait anticipée, puis songea aussitôt à
reprendre le combat. Il prit la route de Latché, et ses millions d’électeurs
celle de leurs congés payés.
Suzanna et Laure arrivèrent vers dix-neuf
heures Porte de Versailles. C’était la première fois qu’elles pouvaient
assister à un concert. Ce Dark Side of the Moon des Pink Floyd promettait
d’être l’événement musical de l’année.
Quelques mois plus tard, au gré d’un
décret présidentiel, elles deviendraient majeures sans même gagner un jour,
l’âge légal passant de vingt et un à dix-huit. Pour l’heure, elles eurent la
permission de sortir seules, car nul n’osait rien refuser à Suzanna.
Ce soir-là était leur soir.
Suzanna n’eut besoin que d’un
bustier rouge resserré au plus près de la taille, d’une courte jupe noire et de
bottes en cuir pour se revêtir. Comme il se devait, Laure marchait en retrait,
évitant les foules que sa sœur faisait reculer de sa démarche fonceuse. Sa robe
en taffetas mauve pâle faisait ressortir ses yeux bleus et son teint pâle.
« Dépêche, chérie, l’entraina
Suzanna. J’ai le feu, je te dis pas, j’ai envie de tout faire péter ce soir !
- Attention, avec tes talons tu vas
finir par te blesser, lui répondit Laure, essoufflée.
- Me blesser ? Tu déconnes ! Blesser
ça oui, je veux bien. Un bon coup là où je pense, au premier qui fait le con !
- C’est pas ce que je voulais dire…
- C’est ce que je veux dire, moi ! »
Pénétrant dans la salle de concert,
elles se faufilèrent entre les spectateurs serrés dans la fosse, jusqu’à
atteindre le devant de la scène.
« Ouf, ria Suzanna en tirant sa sœur
à elle par le bras et en la plaçant à sa gauche. De là, on va rien louper !
- J’ai abimé ma robe ! - Putain,
merde ! Bousillé, tu veux dire. C’est nul, on voit qu’un bout de tes jambes ! »
Et s’agenouillant, elle attrapa le
tissu, et d’un coup sec tira.
« Mais t’es malade ? Qu’est ce que
tu fais ?
- Arrête de bouger ! Voilà ! C’est
pas mieux comme ça ?
- Mais j’ai l’air de…
- T’as l’air d’une bonne pouliche ma
chérie. Hum, on en mangerait ! »
Et elle lui embrassa l’intérieur de
la cuisse à pleine bouche.
« Je t’ai mis du rouge ! Putain,
Laure, je t’ai mis du rouge juste là où... Attends, je vais faire mieux.
- Mais arrête, tout le monde nous
regarde !
- Ah oui ? fit Suzanna, à genoux, le
visage penché dans l’entrecuisse de sa sœur.
Et haussant le ton, elle cria :
« Pussy pussy pussy cat ! Miaou
miaou le joli minou qui aime les cachous ! »
Puis elle appliqua ses lèvres en les
pressant, soulevant d’un doigt tendu l’élastique de la petite culotte et
relevant de l’autre main la robe aussi haut que possible.
« On est des sœurettes, on a des
minettes, et tout ça c’est chouette, de s’faire des risettes », chanta-t-elle à
tue-tête en s’esclaffant.
- Arrête ! » hurla Laure en se
retenant de gigoter, tant les attouchements la chatouillaient.
S’agrippant à sa taille, Suzanna se
releva. Elle vit aussitôt que Laure, loin de partager son entrain, était
horriblement gênée. Elle se contint, et la prit dans ses bras en la serrant
contre elle.
« Petite chatte, ma chérie. Petite
chérie, petite chatte. Miaou miaou ! Oh, excuse-moi. Excuse ta petite salope de
sœur »
A leurs côtés, de jeunes couples en
jeans s’embrassaient.
« Guiliguili ! Guiliguili », fit
elle en passant ses doigts sous les aisselles humides de Laure, qui ria à
pleine gorge.
« Que tu es bête ! Mais que tu es
bête !
- Bête, oui ! Bête ! La Bête ! Je
suis la Bête ! Tu es la Belle et je suis la Bête ! Putain, ça chauffe de
partout ici, regarde, ouh la la ! Ils ont tous le feu au cul, ça va finir en
orgie !
- Va pas falloir qu’on raconte ce
qu’on a vu à la maison !
- Parce que tu crois que papa, avec
le poste qu’il a, il se doute pas un peu de ce qui se passe ici ? En tout cas,
je te préviens ! Voir, c’est bien gentil, mais ça suffit pas. J’ai mis la
cuirasse, et j’ai bien l’intention de me la faire dégrafer …
- Quoi ? Ici ?
- Pourquoi pas ? On va quand même
pas se contenter de se faire peloter dans des soirées à la con ! Les boutonneux
à particules, je te les laisse si tu veux. Moi j’ai plutôt envie d’un chevelu
qui sente la sueur, avec de bonnes grosses mains calleuses. »
A ces mots prononcés, elle sentit se
serrer contre elle un corps puissant, par derrière, qui l’enserra. Et sans même
avoir eu le temps de réagir, elle vit apparaître, de part et d’autre de sa
poitrine pressée contre le rebord de la scène, deux belles mains tendues.
« Du genre de celles-ci ? »
Elle voulut se dégager, mais le
corps la pressa davantage.
« Te retourne pas, mignonne, tu
risquerais d’être émue. Regarde plutôt ces mains, et dis-moi si elles te
conviennent »
Se retournant, Laure vit l’homme la
première. Elle le fixa avec stupéfaction, et plongea son regard dans celui de
sa sœur.
« Alors, qu’est-ce qu’elle te dit ta
copine, poursuivit l’homme. On continue ou on arrête ? »
Suzanna regarda Laure. Son effroi ne
faisait aucun doute.
« On continue », murmura-t-elle en penchant
sa nuque contre l’épaule de l’homme. Puis, après une inspiration :
« Il te plait, Laure ? Dis-moi. Il
te plait ? »
Laure vit la bouche de l’homme
s’approcher de l’oreille de sa sœur.
« Oui, oh oui, il te plait !
- Il lui plait. Oui, il lui plait »,
répéta l’homme.
Un brouhaha venu des profondeurs
leur répondit. Soudain la foule se souleva, et la salle fut plongée dans
l’obscurité. Suzanna se plaqua contre les hanches de l’homme. Elle sentit sa
puissance, et souffla. Puis, de sa main gauche, elle attrapa la main de sa sœur,
et croisa ses doigts dans les siens.
« Ca commence, ma douce. Ça
commence… fit-elle.
- Oui, soupira Laure, entendant des
tréfonds de la scène monter les premiers souffles de synthétiseur.
- Ca commence, ma douce, reprit
l’homme, en écho, desserrant l’étreinte et retournant délicatement Suzanna.
- Retourne-moi encore… », lui murmura-t-elle,
à l’instant où leurs lèvres manquèrent de se frôler.
Ne lâchant point les doigts de sa
sœur, elle se repositionna face à la scène, et prit une profonde inspiration.
« Tu reconnais ces notes ?, demanda-t-elle
à Laure.
- Money ! répondit l’homme.
- Oui, expira-t-elle. Oui ! Money !
»
A écouter après la lecture (conseillé) :
https://www.youtube.com/watch?v=-0kcet4aPpQ
Commande en ligne, résumé et avis de lecteurs :
SUNDANCE / GENESE Vol.1 :
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