jeudi 29 juin 2017

SUNDANCE / GENESE (43)


Le hall était plein à craquer. Sur le parking, des dizaines de cars s’étaient garés en grand désordre, desquels s’extrayaient des centaines de militants venant des quatre coins de France assister à l’avènement du Roi Chirac. La scénographie de l’évènement avait été pensée et conçue par une équipe de pros : Juillet et Garaud pour la stratégie, Pasqua pour la logistique, plus quelques uns, des proches de Chirac surtout. Du parti gaulliste il ne restait quasiment rien, sinon quelques vieilles gloires aigries n’ayant plus la force de s’opposer au rouleau compresseur qui allait tout emporter.

La messe avait été dite deux mois plus tôt à peine à Egletons, sous la dictée des deux stratèges. L’acteur, désormais pleinement dans son rôle, avait déclamé la Bible, réveillant tout un peuple assoupi depuis la désastreuse campagne de Chaban.

En ce dimanche 5 décembre, jour d’enterrement de l’UDR au profit d’un Rassemblement formaté à la gloire d’un seul, seuls le temps et le Monarque n’étaient pas à la fête. Il régnait dans l’immense salle une liesse proprement estivale.


Pierre arriva seul, le visage livide d’avoir trop peu dormi. Il s’engouffra dans le long couloir, et arriva au portique, où il sortit de sa poche le laisser passer de Suzanna. Le vigile l’observa avec dédain, puis lui demanda qui il était. Pierre marmonna quelques mots, le vigile sortit son talkie-walkie, et un homme patibulaire s’avança vers eux.
« Qu’est-ce que vous venez bien faire ici ?, lui demanda Charles Pasqua, en le toisant avec circonspection.
- Je suis le mari de Suzanna.
- J’en ai entendu parler. Toutes mes félicitations jeune homme.
- Elle est souffrante. Elle m’a demandé …
- De vous remplacer ? Elle manque pas d’air la petite ! C’est pas vous qui officiez chez celui qui veut nous faire tomber sous des dossiers bidons ?
- C’est son père.
- Merci de l’info ! Bon, on a d’autres chats à fouetter aujourd’hui. Si vous voulez prendre votre carte chez nous, vous gênez pas !
- J’y penserai.
- Vous êtes pas obligé de vous précipiter. Vous avez jusqu’à 81 pour faire un petit chèque. Après, on vous ratera pas !
- Merci du conseil, Monsieur Pasqua »
Le logisticien en chef le regarda s’éloigner, le pas trainant et le cheveu sale. Il semblait totalement hagard, et sentait la transpiration.


Pierre entra dans la grande salle, et s’avança prudemment vers les rangées des personnalités. Tout autour, des cohortes de jeunes aux t-shirts bariolés aux couleurs bleu blanc rouge s’époumonaient en s’agrippant à des drapeaux.  
Il se fraya un chemin en jouant des coudes, puis parvint jusqu’à la rangée derrière l’épouse de l’homme du jour. Elle avait les yeux baissés sur son sac à mains, et semblait presque intimidée.

Personne ou presque ne faisait grand cas de sa présence. A ses côtés, deux très jeunes filles : la première, grande, brune et d’une minceur extrême, et la seconde, plus jeune , aux airs de garçonne.

Ce fut la petite Claude, qui la première le remarqua. Instinctivement, sa mère se retourna, puis, l’apercevant, trahit un léger sourire de reconnaissance. Il s’avança, pas à pas, jusqu’à elle, et lui tendit la main.
« Pierre, questionna Bernadette, frémissante. Mais Suzanna ? Où est Suzanna ?
- Alitée. Elle est tombée malade dans la nuit.
- La nuit de ses noces ?
- Ca tombe mal.
- Vous lui direz plein de choses de ma part. Vous y penserez, n’est-ce pas ?
- Je vous le promets, madame. Quel monde !
- J’ai du mal avec la foule, et mes filles encore plus. Surtout Laurence ! Jacques tenait à ce qu’elles soient là, j’ai dû m’incliner. Une fois de plus…
- Votre position n’est pas simple…
- A qui le dites-vous ! »
Elle releva le menton, et le regarda avec une surprenante intensité.
« Elle est formidable, Suzanna, vous savez. Je l’aime beaucoup !
- Elle me parle parfois de vous…
- De moi ? »
Bernadette semblait profondément émue.
« Elle a pour vous une sincère admiration.
- Excusez-moi Pierre, je n’ai pas l’habitude… »
Elle toussa, puis d’un air plus détaché, poursuivit.
« Sa présence est utile. Je la sens sincèrement impliquée auprès de mon mari. De bon conseil. Et puis, elle a beau être d’une beauté stupéfiante, et j’ai beau être un peu jalouse, je sens que je peux lui faire confiance.
- Vous pouvez Madame. Ma femme est intelligente, et d’une grande franchise.
- C’est une vraie star de magazine. Quelle apparition, hier ! Quelle classe ! Et joueuse avec ça, comme détachée…
- Vous aussi vous avez remarqué…
- Vous ne devez pas être n’importe qui, pour qu’elle vous ait choisi…
- Peut-être est-ce moi qui ai fait le premier pas ? Vous me faites penser à sa mère…
- Je ne la connais pas plus que ça. Une assez jolie femme, assez discrète.
- Très ! Patiente ! Et pas si effacée que ça. Pour moi, l’élément pivot de cette famille c’est elle. Si elle venait à disparaître, tout serait bouleversé.
- Ma disparition ne changerait pas grand-chose vous savez…
- Suzanna dit le contraire…
- Ah… »
Elle semblait songeuse, et regardait la scène déserte avec une appréhension palpable.
« Il ne m’a même pas dit de quel côté il apparaitrait. Côté cour, ou côté jardin ? Vous en pensez quoi ?
- Si j’étais lui, je fendrais la foule !
- Ah oui, bien sûr … »
Elle se retourna à la recherche d’un indice, et admira la foule qui se pressait de rangée en rangée.
« C’est impressionnant, quand même…
- D’où viennent tous ces gens ?
- Je ne sais pas. En tout cas il y a du monde. Monsieur du Château n’a qu’à bien se tenir.
- Vous n’avez pas l’air de le porter en haute estime.
- Ce Monsieur s’est extrêmement mal conduit envers nous. Je ne pardonnerai pas. Quand on a eu la chance d’avoir grandi dans un certain milieu, on ne se conduit pas comme un cuistre.
- Vous parlez de Brégançon ?
- Une humiliation comme je n’en avais jamais vécue. Jacques en est revenu retourné.
- Pourtant il avait eu son lot !
- Au risque de vous surprendre, mon mari est parfois aussi vieux jeu que moi. Qu’on puisse traiter de la sorte son épouse, ça lui est resté en travers de la gorge. Et nous y voilà ! A quoi ça tient, parfois, la politique …
- Ça vous intéresse ?
- Quoi ?
- La politique !
- Ah, ne m’en parlez pas ! »
Elle leva les yeux au ciel et jeta un coup d’œil à ses filles.
« Vous avez devant vos yeux trois victimes de ce cannibale. Jusqu’où cela ira-t-il ? Enfin, j’ai signé.
- Elle a raison ma femme de vous admirer.
- Oh vous savez, le malheur, pour certains, c’est esthétique… »
Pierre ne put s’empêcher de sourire, quand, soudain, il aperçut, fendant la foule et se dirigeant dans sa direction, son père.
« Excusez-moi, Madame, je vous laisse quelques instants.
- Je vous en prie. Vous revenez j’espère ?
- Euh, oui, bien sûr ! »

Pierre fit quelques pas, et se trouva nez à nez avec celui qui l’avait trouvé.
« Qu’est-ce que tu veux encore ? T’as pas eu ta dose hier soir ?
- T’en fais une tête mon fils ! Pas content de revoir ton vieux, on dirait !
- Si tu continues à me faire chier je t’explose la gueule !
- T’as une femme pour ça !
- Putain, ‘pa ! »


Il avait levé le bras, mais le retint. Son père n’avait pas bougé, et souriait.
« Le digne fils de son père…, ricana ce dernier. T’as beau me renier, t’es comme moi, fils ! Une bête ! Une bête qui a la gale et qui sait pas s’empêcher de cogner. Tu bois encore ?
- Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
- Quelque chose, figure-toi ! Ca me ferait plaisir que tu deviennes pas comme moi !
- T’as foutue ma mère dans un asile, ordure !
- Elle y est allée toute seule ! Qu’est-ce que tu crois ? Si elle voulait vivre autre chose, qu’est-ce qui l’empêchait de se barrer ?
- Tu lui as coupé les vivres, enculé !
- T’en as un vocabulaire ! Elle pouvait faire des ménages. Après tout, c’est ce qu’elle faisait, quand je l’ai connue !
- Je t‘interdis de parler comme ça de maman !
- Gnagnagna ! Ben quoi ? Ta mère était boniche, ya pas de honte à ça ! T’as honte de ta mère ?
- J’ai honte de toi !
- T’as raison fils, renie ton père ! Renie-toi ! Bientôt c’est de toi que tu auras honte !
- Je t’emmerde !
- Elles sont pauvres tes insultes mon fils !
- J’ai que ça pour toi ! »
Le vieil homme ouvrit grand la bouche, découvrant une dentition pourrie.
« Tu pues de la gueule, ‘pa !
- Normal ! Dedans, ya que de la merde !
- Et tu t’en vantes ?
- Nan ! J’m’assume et j’me connais, c’est tout. Pas comme toi, qui fais ton beau, qui te planque derrière ta crinière et tes bonnes manières de parvenu. Mais tu verras ! Tu verras fils ! J’en mets mon chapeau en jeu ! Quand ils découvriront qui tu es, qui tu es vraiment, le chien que tu es, ta nouvelle famille, ta jolie famille, les Lewit, là, ils te jetteront à la rue, toi et ta pétasse, comme des va-nus pieds !
- Ferme ta claque à merde ! »
Le vieil homme recula d’un pas, puis à nouveau s’avança.
« C’est dommage, dit-il en souriant de toutes ses dents restantes. Vraiment dommage…
- Quoi encore ?
- Finalement, j’aurais dû te cogner un peu plus que ton frère. En fait je t’ai trop pourri : regarde le résultat ! Un pleutre ! Voilà ce que t’es devenu ! »
Pierre sentit la nausée lui monter à l’estomac, et se détournant, tâcha de s’écarter de lui.
« Fuis, chien galeux ! Fuis ton père, poursuivit l’autre en le suivant. Partout où tu iras, mon ombre te précèdera. Tu peux pas échapper à tes racines, tu peux pas ! Un jour, je te le dis, tu reviendras. Et ce jour-là, ce sera le début de la fin. Et ça sera long ! Et ça sera dur ! Pour toi ! Pour elle ! Pour vos gosses ! »
D’un mouvement brusque Pierre se retourna vers lui et le saisit à la gorge.
« Vas-y, serre, gémit son père. Tue-moi !
- Je te maudis ! Je te maudis ! »
Reprenant son souffle, au milieu des travées, le vieil homme se racla la gorge, et, inspirant profondément, ajouta :
« C’est déjà fait, ducon ! »



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