Auguste tint parole. Le fait que le
Président, par l’intermédiaire de son nouveau premier ministre Raymond Barre
l’ait confirmé dans ses fonctions, avait libéré toute retenue.
La célébration de l’union entre
Suzanna et Pierre fut, en ce samedi 4 décembre, veille du Congrès de création
du RPR, son chef d’œuvre. L’organisation de la cérémonie échappa aux
intéressés, trop occupés à défendre les intérêts opposés de leurs écuries
respectives. Les deux grandes familles de la droite française avaient consommé
leur divorce, à compter de ce 25 août où Jacques Chirac avait claqué avec
fracas la porte de Matignon. On entrait à présent dans une lutte à mort, où
l’un des deux hommes, le Président en exercice ou son Premier Ministre
démissionnaire, devait écraser l’autre. Le mariage des tourtereaux, dans
l’esprit d’Auguste, devait être une trêve, aussi courte que merveilleuse, dans
ce combat à mort.
Convié, le Président dépêcha son
fidèle Poniatovski, qu’on aperçut se frayer un chemin dans les travées de Notre
Dame où furent prononcés les vœux. Il partit, ce fut amplement commenté, juste
après la passation des anneaux. Ce départ sur la pointe des pieds résonnant
pour certains comme l’annonce du chant du cygne.
Chirac et son épouse Bernadette
restèrent du début à la fin, Suzanna tenant à ce qu’ils soient au rang juste
derrière elle. Elle se retourna plusieurs fois pour adresser un clin d’œil
complice à la femme du futur patron du RPR, ce que son père et son mari
interprétèrent comme une provocation.
Toute la presse avait été conviée,
et les photographes, contraints de laisser sur le parvis de la cathédrale leurs
appareils, ne purent immortaliser ces instants.
A onze heures, tous sortirent sur le
parvis, emmitouflés derrière d’épais manteaux. Il faisait un tel froid que, de
mémoire de puissant, on ne se souvenait guère d’un mariage aussi glaçant.
Chacun partit dans un Paris recouvert de givre, et attendit vingt heures pour
rejoindre le Grand Palais.
La mariée fit son entrée aux bras de
son père sous un tonnerre d’applaudissements. Elle portait une longue robe de
dentelle noire, échancrée au dos, et piquée au niveau de la poitrine par une
orchidée. Sa chevelure d’ébène était relâchée, et son maquillage blafard
faisait admirablement ressortir ses grands yeux en forme d’amande qui se
posaient, à chaque pas, sur les silhouettes célébrant son avènement.
Rien, songea Auguste, ne l’avait à
ce point comblé que le spectacle de cette apparition digne des plus beaux
festivals. Sa fille, la chair de sa chair, son âme, sa beauté, crépitant sous
les flashes des objectifs, tandis qu’altière et glissante elle l’entrainait sur
le grand tapis rouge, au centre du dôme.
Derrière eux, Pierre, crinière
attachée en chignon, avançait d’un pas lent, au bras de la mère de son épouse.
Suzanne dut s’obliger à mettre un pas devant l’autre, ce cérémonial lui faisait
tourner la tête. Autour, la plupart des visages, grimaçants d’un bonheur
artificiel la giflaient.
Sentant sa gêne, le marié posa sa
main sur son épaule, lui soufflant à l’oreille : là-bas Madame, Laure, comme
elle est belle ! Et derrière elle : Claude Pompidou est venue pour vous,
regardez, elle vous sourit. Mais les deux qui les précédaient, Suzanna surtout,
Suzanna évidemment, prenaient tant la lumière que celles et ceux qui la
suivaient ne pouvaient que ressentir l’ombre les recouvrir d’indifférence.
Suzanna aperçut Laure, au loin, qui
conversait avec un homme à la peau brûlée comme celle d’un vieux parchemin. Il
portait un costume noir froissé, un chapeau, des chaussures en peau de crocodile,
et de petits anneaux à chaque oreille. Il semblait lui souffler les mots au
plus près, et la faisait rougir.
« Te voilà ma sœur !
- La belle mariée que voilà ! »,
murmura l’homme en la voyant s’avancer.
Laure esquissa un pas en direction
de sa jumelle, puis se ravisa. Une force étrange la retenait clouée au sol.
« Eh bien Laure, tu ne viens pas
embrasser la mariée ? », enchaina Suzanna en l’enserrant par la taille.
Laure était d’une absolue pâleur.
Elle avait dû perdre cinq kilos en quelques mois, et flottait dans sa robe
turquoise rehaussée par une broche censée apporter un peu de couleur.
« Vous nous présentez ?, fit le
vieil homme dans un étrange rictus.
- Suzanna, je te présente ton beau-père
», murmura Laure en baissant les yeux.
La mariée s’immobilisa.
« On ne m’avait pas dit que…
- Je suis venu pour le Congrès,
répondit-il en la dévisageant.
- Drôle de coïncidence…
- Je sais. T’en es, c’est bien. T’as
raison, petite.
- Vous… ».
Elle se racla la gorge et toussa.
« Vous y êtes convié ?
- Les DOM, ça compte ! J’apporte une
île sur un plateau d’argent.
- Beau cadeau pour la corbeille de
la mariée.
- Ton mariage est pas un cadeau,
petite ! »
Elle plongea son regard noir dans le
sien.
« Vous êtes venu pour m’insulter,
beau papa ?
- Tu me plais bien toi, ricana-t-il.
Mon chien de fils a décidément bon goût !
- Je ne vous permets pas de parler
de Pierre ainsi !
- Ben quoi ?, ajouta-t-il en
clignant des yeux en direction de Laure. Ta sœur vient de s’unir à une lignée
de chiens galeux sans le savoir. En tant que patriarche, je la préviens. Elle a
quand même pas l’intention de déménager chez nous ?
- Sûrement pas, répondit Suzanna en
faisant claquer les mots.
- Qu’en sais-tu petite ? »
Suzanna et Laure sentirent quelque
chose d’âpre les saisir.
« Tu t’appelles Suzanna, c’est bien
ça ?
- C’est bien ça, répondit-elle en le
défiant.
- Alors écoute-moi bien, ta sœur est
témoin. Tant que tu restes ici, tu es en sécurité. Si jamais il te demande de
revenir chez lui, ne l’écoute pas, vas t-en ! Là-bas…
- Là-bas quoi ?
- Là-bas, c’est… »
Il prit une longue inspiration,
sortit une cigarette roulée de sa poche, puis l’alluma.
« Là-bas c’est comme ça, fit-il en
levant sa cigarette allumée. Ça te grille à petit feu… Le soleil… Le rhum…
Plein d’autres trucs encore. Que les petites filles comme toi n’imaginent pas…
- Je ne crois pas que Pierre… »
Mais elle s’interrompit au milieu de
sa phrase. Jacques Chirac venait d’apparaître, et s’avançait vers eux.
« Suzanna, fit-il, radieux. Tu es
resplendissante !
- Jacques, je te…
- Vous êtes là, vous, fit-il en
apercevant à ses côtés le beau-père de la mariée. Ca alors, vous avez fait le
voyage ?
- Pour vous !
- Pour moi ?
- C’est bien demain ? »
Chirac regarda Suzanna avec
appréhension, puis opina.
« Je ne savais pas …
- Le rassemblement, ça concerne tout
le monde.
- Bien sûr !
- Y compris les DOM ?
- Oui !
- Y compris la Réunion ?
- Y compris, oui.
- Je vous l’apporte, Patron ! »
Chirac à son tour sortit une
cigarette, et nerveusement l’alluma.
« C’est gentil !
- Gentil ? », répéta le vieil homme
en éclatant de rire.
Son corps fut soudain secoué de
tics, et son chapeau tomba à terre.
« T’as fait tomber ton couvre-chef …
»
Pierre s’était abaissé, et depuis le
sol où il se tenait accroupi, il lança en direction de son père un regard de
braise.
« Ramasse !, ordonna ce dernier d’un
ton sec.
- Pas la peine de gueuler : tiens !
»
Laure, Suzanna et Chirac s’étaient
figés. D’un instant à l’autre un coup de sang pouvait partir.
Le vieil homme saisit violemment son
chapeau, puis s’en couvrit.
« Merci, fit-il à l’adresse de son
fils, qui se relevait.
- Tu es donc venu.
- Sans avoir été invité. Sans même
avoir été prévenu par toi. Ni par ton frère ! Elevez des chiens galeux, ils vous
cracheront à la gueule !
- Tu n’es pas le bienvenu.
- Ca m’est égal. Tu n’es pas chez
toi ici.
- Toi non plus.
- Je m’en fiche.
- Pourquoi t’es venu alors ? »
Le vieil homme avança d’un pas en sa
direction. Il était tout de rage contenu.
« Un Grondin ne peut être absent dès
lors qu’un des siens célèbre une union. La tienne est importante à mes yeux.
Quoi qu’on dise.
- Ne raconte pas d’histoires !
Pourquoi ?
- Qui sait : tâter un peu la croupe
de la nouvelle pouliche ?, fit-il en avançant la main vers le fessier de
Suzanna, qui recula.
- La touche pas !
- Grondin, enfin !, interrompit
Chirac. Cela n’est pas convenable !
- Ici en effet », sourit le vieil
homme en reculant prudemment.
Il écrasa son mégot sur le marbre
froid, et toisant les convives, reprit.
« Drôle de lieu. Drôle d’époque …
C’est bien que tu aies atterri là, fils. Jusque-là, tu t’es bien débrouillé.
Papa te tire son chapeau !
- Crève !, répondit Pierre entre ses
dents.
- Arrêtez !, cria Laure, je n’en
peux plus ! Je n’en peux plus ! »
Des larmes coulèrent sur ses joues,
et elle se mit à trembler.
Autour, les silhouettes s’étaient
retournées, et les regardaient.
Chirac fit quelques pas en arrière.
« J’ai compris, fit Grondin. Je m’en
vais »
Il tourna son visage ridé vers
Suzanna.
« Souviens-toi de ce que je t’ai
dit, petite ! »
Puis il tourna les talons. Et d’un
pas lent, se dirigea vers la sortie.
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