« Alors papa, où en sommes-nous ? »
Elle tenait Valérian contre son
cœur, et observait Pierre, qui tournait tel un fauve, chemise ouverte sur un
poitrail en sueur. Auguste venait de raccrocher.
« C’est Barre. Il vient de nommer
Barre.
- Le Ministre du Commerce Extérieur
?
- Giscard l’a fait venir en janvier
pour ça. J’en suis persuadé. Eux deux parlent la même langue. De purs cerveaux.
- Qu’as-tu à tirer une tête comme
ça, Pierre ?
- Je le connais, votre Barre… Chez
moi, on sait bien qui il est !
- Ah bon ?, s’étonna Auguste.
- C’est un enfant du pays !
- J’avais oublié ce détail…
- Ce n’est pas un détail. Cet homme,
je suis bien placé pour le comprendre. Il est parti. Depuis longtemps. Et lui
aussi … »
Pierre baissa soudain les yeux.
« Pierre, à quoi tu penses ?
- Je pense à mon père…
- Je ne comprends pas…
- Il… ».
Pierre prit une profonde
inspiration.
« Il a fui son père, lui aussi…
- Ah ? Et pourquoi ?
- Une affaire de fraude… Ce Barre,
c’est un incorruptible. Un honnête homme. Tout le contraire de ton Chirac,
Suzanna !
- Entre mon père et la loi, moi
j’aurais tranché sans hésitation dans l’autre sens…
- Tu ne connais pas Poings sans
Mains …
- On parle politique, Pierre ! Ton
père n’est pas le père de Barre !
- Qu’en sais-tu ? Là-bas, les hommes
de pouvoir, c’est pas comme ici …
- Et alors, ça change quoi ?
- Tout ! »
Auguste s’approcha et lui prit la
main.
« J’aimerais comprendre ta douleur,
Pierre.
- Donne-moi sa main, alors.
- Tu n’as qu’à lui demander…
- C’est oui pour moi. »
Suzanna s’était avancée vers eux,
maintenant Valérian endormi dans ses bras. Quand Pierre l’enserra, le bébé
s’éveilla et cria.
« Vas le coucher s’il te plait, ses
cris me fatiguent, et ton père a besoin de calme.
- C’est vrai ma fille, cet enfant
est usant. Confie-le à ta sœur…
- Pour qu’elle le mette en danger
une fois encore ?
- Ne dis pas ça, fit Pierre. Ne sois
pas si injuste !
- Il le frappait, je te dis !
- Suzanna, tu n’étais pas là !
- Je crois ce que je vois !
- Pas moi ! »
Il lui arracha presque l’enfant des
bras.
« Toi, fit-il en regardant son fils,
je te trouve bien fragile…
- Ne lui parle pas sur ce ton !
- Ne parle pas au père de tes
enfants sur ce ton ! Ici ce n’est pas toi qui fait la loi.
- On est Place Vendôme, andouille. »
Il trahit un sourire, et de sa main
libre lui caressa ses longs cheveux noirs.
« Je reviens »
« Tu vas le retrouver ton
portefeuille, papa…
- Je ne suis pas sûr. Ce Barre, il
ne m’aime pas.
- Ce n’est pas lui qui choisit les
ministres.
- Il a son mot à dire !
- Pas sur la Justice ! Ce n’est pas
son affaire. Et puis Giscard tient à conserver une certaine continuité. Ton
animosité envers Chirac est légendaire.
- Comment peut-il te faire à ce
point te faire confiance ?
- Ça doit être hormonal,
sourit-elle.
- Tu as couché avec lui ?
- Tu me prends pour une conne ?
Coucher avec Chirac ? Il a confiance, voilà.
- Ton don d’ubiquité me stupéfie.
- Qui te dit que je joue double jeu
? Ne t’ai-je pas toujours dit que je crois profondément en cet homme ?
- C’est un bouseux !
- C’est toi le bouseux ! Chirac,
c’est l’avenir ! Ce parti, il va le prendre, et le remodeler à son image. Ça va
être une machine de guerre. Ton Giscard sera balayé.
- Si tu le dis… Et son entourage ?
- Ils m’acceptent plutôt bien… Le
fait que je n’ai pas couché rassure tout le monde, à une exception près.
- Marie-France ?
- Evidemment !
- Je t’avais dit de te tenir sur tes
gardes.
- Je le suis. Il est impossible
d’être proche de lui et de l’éviter. Je fais avec. Tout à l’heure elle m’a
traitée de sale petite conne.
- Sale bonne femme ! Oser parler
ainsi de ma fille !
- Ca a le mérite de la franchise. Et
puis ça n’a guère d’importance. Cette femme a moins de pouvoir qu’on le dit. Il
suffit de ne pas lui accorder trop d’attention. Et de jouer d’autres cartes.
- Qui ?
- Bernadette !
- La Chodron de Courcel ?
- Une femme bien !
- Tu plaisantes ?
- J’ai l’air ?
- Je ne te comprends décidément pas.
- Tu ne comprends rien »
Elle s’avança vers lui telle une
chatte.
« Merci au fait.
- Mais de quoi, ma chérie ?
- De ne pas t’être opposé à … »
Auguste la prit dans ses bras.
« Ce garçon est l’homme qu’il te
faut.
- Je sais. Tu ne crains pas qu’un
jour ?
- Un jour quoi ?
- Eh bien, tu sais… Vous travaillez
ensemble, et…
- Qu’est-ce que tu veux…
- Les hommes changent …
- Si je te donne sa main, ce n’est
pas pour la reprendre…
- Comment oses-tu dire ça ? Me
donner sa main ? Mais c’est à moi qu’il la donne !
- Mais je te l’accorde !
- Non ! Tu es simplement en accord
avec nous ! Tu as voix au chapitre, ton avis compte. Mais si tel n’avait pas été
le cas, le résultat aurait été le même… »
Il desserra l’étreinte, et recula.
« Je t’offrirai alors le plus beau
des mariages »
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