Il s’était échappé en quelques
grandes enjambées de la meute, et l’avait rejointe.
« Ah, Suzanna, je te cherchais …
- Je n’ai pas bougé
- Je sais bien, je sais bien … »
Il paraissait essoufflé.
« Comment veux-tu qu’on te loupe,
dans une robe pareille ?
- Ta Marie France a pas beaucoup
aimé.
- Elle m’emmerde, celle-là ! Comment
as-tu trouvé … ?
- Parfait ! - Vraiment ? »
Il sortit nerveusement une gitane,
et elle lui tendit du feu.
« C’est pas très prudent de nous
afficher comme ça devant tout le monde…
- Aujourd’hui franchement je m’en
fiche !
- L’histoire s’arrête pas à
aujourd’hui. Elle ne fait même que commencer. - Tu penses ? - Pas toi ? - Je me
sens comme …
- Libéré, c’était le but. Mais pas
pour aller cultiver les fraises dans tes terres corréziennes !
- Et me faire chier avec Bernadette
!
- Tiens, justement la voilà ! »
Chirac aperçut en effet son épouse
entrer sur la pointe des pieds dans le grand bureau où conversaient politiques
et journalistes renommés.
« Combien j’aime ta femme ! Et comme
je l’admire !
- Elle m’ennuie parfois, mais quel
caractère !
- C’est sans doute ta carte la plus
précieuse …
- Tu crois ?
- Ca a l’air de t’étonner, que je
dise ça ! »
Bernadette s’approcha d’eux, et
tendant la main à la jeune femme qu’elle reconnut, étouffa une toux.
« Désolée Mademoiselle, je dois
filer un début de rhume…
- Bonjour Madame. Je suis contente
de vous revoir.
- Vous êtes bien la seule, fit-elle
en lançant une œillade courroucée à son époux. Eh bien Jacques, vous êtes
content de vous ?
- Plutôt ma foi ! Pas vous ?
- Plutôt plus que d’habitude !
- A vous regarder, Bernadette …
- Mon mari a toujours besoin d’être
rassuré, murmura telle à destination de Suzanna.
- Ca pardi c’est tout à fait exact !
Et on ne peut pas dire …
- Gardons ça pour après ! »
Elle avait aperçu Marie France
Garaud, qui, faisant résonner les talons de ses bottes, s’avançait en leur
direction.
« Evidemment… » , ajouta-t-elle.
La conseillère plongea son regard
dans celui du démissionnaire, et vint se planter devant lui.
« Je suis fière de vous, Jacques.
Vous avez été parfait ! Ma dureté d’hier a porté ses fruits.
- Ah vous trouvez ?
- L’exigence a du bon, parfois …
- Vous m’en avez fait voir de toutes
les couleurs !
- Regardez le résultat !
- Je peux pas être dans la lucarne,
et ailleurs …
- Il vous faudra apprendre !,
fit-elle d’une voix perçante.
- A quoi servirez-vous, le jour où
il saura faire ? », murmura Suzanna.
Bernadette ne put retenir un rire,
et son mari leva les yeux au ciel.
« Je vois qu’on aime à se divertir
après l’effort, ponctua la conseillère en tirant sur sa jupe. Fort bien : accordez-vous
donc quelques agapes. Pour moi, ma mission du jour est faite, je rentre.
- Déjà, Marie-France ?, coupa
Chirac.
- Vous êtes si bien entouré,
Jacques… »
Et, délaissant sa main qui se
tendait, elle détourna les talons.
« Sale bonne femme !, persifla
Bernadette.
- Bernadette, voyons…
- Jacques, elle n’a pas complètement
tort …
- Ecoutez… J’ai besoin d’elle !
- Personne ne dit le contraire.
- Si, moi !, interrompit Bernadette.
- Si je puis me permettre, Madame,
je ne suis pas complètement de votre avis. Et pas complètement du tien non plus
Jacques.
- Oh oh ! Vous allez arriver à nous
mettre d’accord, Suzanna !
- Sur le fond, vous l’êtes déjà !
- Que veux-tu dire ?
- Votre famille est un clan soudé.
- Merci Mademoiselle, fit Bernadette
en levant vers elle un regard ému.
- Tu peux détailler ?
- Avec une coupe de champagne alors
! »
Tous trois se dirigèrent vers le
buffet, et un maître d’hôtel leur servit ce qu’ils désiraient.
« Madame Garaud est utile, Jacques.
C’est une redoutable manœuvrière, et elle caresse pour toi de très hauts
desseins…
- Cette dame n’a pour mon mari que
mépris !
- C’est exact, et en même temps cela
ne l’est point.
- Subtil, le truc !, fit Chirac. Pas
sûr de comprendre…
- Jacques adore faire l’enfant !,
sourit Bernadette. C’est comme ça qu’il parvient à embobiner son monde. Il n’y
a qu’avec moi que ça ne prend pas.
- Madame Garaud vient d’un autre
monde que toi, Jacques. Celui de ton mentor. Celui de Pompidou. C’est lui qui
t’avait désigné, souviens-toi ! Elle était sa conseillère, il est parti trop
tôt, elle poursuit son œuvre.
- Et Giscard est apparu ! Et a tout
ébloui !
- Le Roi Soleil, persiffla
Bernadette.
- Jacques, tu as besoin de
Marie-France. Jusqu’au jour où tu n’en auras plus besoin du tout.
- Parfois je me demande pourquoi
elle croit en moi…
- Elle ne croit pas en toi. Elle se
sert de toi. Elle t’utilise. Pour elle, et pour sa conception datée de la
France. En fait c’est amusant, quand on y songe. Elle a tout pour se sentir
proche de ces vieux UDR qui te détestent, et elle fait tout pour les réduire à
néant. C’est drôle, cette femme, quand même ! Ils ont dû l’humilier, ou quelque
chose comme ça…
- A moins que ce soit plus ancien,
ajouta Bernadette en baissant les yeux.
- Que voulez-vous dire Bernadette ?,
questionna son mari.
- Pour être aussi implacable, il
faut avoir été très humiliée, Jacques »
Suzanna la fixa avec intensité, et
ses yeux se voilèrent.
Elle leva ses deux mains, et les
tendit à l’épouse fidèle, émue à son tour.
« C’est bien que vous soyez à nos
côtés, Mademoiselle ! »
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