Ce 25 août 1976, Suzanna s’était
réveillée plus tôt que d’habitude. Quelque chose se tramait depuis plusieurs
jours, en cet été démarré par une harassante canicule qui avait laissé le pays exsangue.
Sécheresse, cultures réduites à néant, kilo de tomates dépassant 4 francs, pics
de chaleur de 40 degrés en région parisienne, avec ce que cela suppose pour les
personnes âgées.
Qu’elle avait été exceptionnelle,
cette saison des beaux jours. Au point que le climat de surchauffe avait gagné
jusqu’aux deux têtes de l’exécutif ! A couteaux tirés, le Président et son
Premier Ministre avaient échoué à recoller les morceaux, lors d’une invitation
lancée par le premier au Fort de Brégançon. C’était plus fort que lui : alors
qu’il tentait de regagner à sa cause un homme qu’il méprisait, Giscard n’avait
réussi qu’à l’humilier davantage : en le conviant, tel un laquais, avec sa
femme Bernadette, à un week end en compagnie de son moniteur de ski. Et de
faire s’asseoir ce dernier, à table, ainsi que le premier de ses ministres et
son épouse, sur trois chaises… Tandis que lui, trônait aux côtés de Madame sur
deux grands fauteuils.
C’en fut trop pour Jacques, et pour
Bernadette surtout. Laquelle, au regard des origines, ne put qu’interpréter
fort justement ce manque d’égards. Affront au politique, à l’homme et au mari :
trois blessures en un seul coup. La décision de rompre fut prise à cause d’une
histoire d’étiquette singulièrement parlante pour qui saisissait la conception
toute particulière qu’avait le Président du savoir vivre.
En tant que visiteuse privilégiée,
Suzanna connut l’intention de Chiarc dès les premières heures. Hormis Pasqua,
Pons, Toubon, et bien sûr Pierre Juillet et Marie France Garaud, le secret
était bien gardé : l’effet de surprise se devait d’être total.
Jamais, depuis l’avènement de la
Vème République, un premier ministre en fonction n’avait osé démissionner en
convoquant la presse. Cette mauvaise manière, ce serait la réponse du corrézien
à l’auvergnat, celle du laquais au châtelain. Le coup de l’âne d’un vassal
humilié au Prince qui s’aimait tant lui-même qu’il en était arrivé au point de
ne plus voir d’autre tête que la sienne. Et pour finir, une décoiffante
conclusion à un été de feu, prête à accueillir la France des plages avec
tambours et trompettes.
Ce fut Marie France Garaud qui lui
ouvrit la porte. Son air pincé, lorsqu’elle vit la jeune femme habillée de
rouge entrer dans le bureau de Chirac, fit ressentir aux présents son courroux
de voir la fille d’un des ennemis de son poulain pénétrer l’intimité de son
camp. Elle ignorait tout des assauts que subissait la jeune femme, prise en
étau entre un père irrité par la tournure des évènements et par un compagnon
fougueux au commencement d’une brillante carrière. L’un et l’autre s’en
plaignaient, ce Chirac pouvait d’un coup mettre un terme à leurs projets.
N’ignorant rien de sa proximité avec Suzanna, ils n’avaient de cesse de
l’assaillir de questions, auxquelles elle répondait invariablement par un: «
vous verrez bien ».
Chirac se tenait droit, la gitane en
travers des lèvres, assis à un bout de table. Face à lui, Pons tenait la
caméra. A dossés au mur du fond, Pasqua, Toubon, Juillet et Marie France,
observaient la scène.
« Vas-y Jacques, recommence ! »
Apercevant Suzanna, Chirac esquissa
un sourire de contentement, et après avoir écrasé sa cigarette, reprit :
« En effet je ne dispose pas des
moyens que j'estime aujourd'hui nécessaires pour assumer efficacement mes
fonctions de Premier Ministre. »
Il leva les yeux vers Pons.
« C’est mieux non ?
- Ca se rapproche.
- C’est pas encore ça.
- Les mots sont justes, ponctua
Marie France. Ils tombent comme un couperet.
- Les mots ça va, oui, fit Chirac.
- Le problème c’est vous, Jacques.
Vous n’y croyez pas, lâcha-t-elle en levant les yeux au ciel.
- C’est quand même pas simple.
- On ne vous demande pas votre avis,
Jacques. On vous demande de bien jouer.
- Elle est sacrément difficile votre
scène, Marie France !
- Arrêtez de vous croire à la Foire
du Trône, Jacques !
- Ah ah, ria-t-il nerveusement. On
peut dire que vous avez le sens de la formule. C’est le monde à l’envers !
C’est l’autre qui a le trône et qui a tout fait foirer.
- Continuez, reprit-elle cinglante.
Un bateleur de kermesse en héritier du Général : mais où va-t-on ? »
Elle planta son regard noir dans les
yeux de son poulain, et dégusta en serrant ses lèvres l’une contre l’autre le
trouble qui l’avait envahi.
« Le problème Jacques, c’est le ton.
On dirait un petit garçon vexé… Mais il ne s’agit pas de ça ! Il s’agit,
excusez-moi Messieurs de devoir enfiler des perles, d’institutions bafouées, au-delà
de votre petite personne !
- Bernadette a été humiliée !
- Qui l’a invitée, celle-là ?
- Marie-France s’il vous plait …
- Ah pas de ça, Jacques ! Pas de ça
ici ! Pas avec moi ! »
Elle s’était rapprochée de la table,
et tous, Suzanna exceptée, avaient frémi.
« La France, ce n’est pas une
historiette matrimoniale ! Le seul couple qui compte, c’est Giscard et vous. Et
Giscard est le Président, qui ayant nommé un premier ministre, à savoir vous-même,
se devait, ainsi que le stipule très expressément la Constitution, le laisser
libre de faire son travail ! »
Les phrases avaient claqué, et résonnèrent
dans le grand bureau. Suzanna avança d’un pas, regarda Marie France, et,
inspirant profondément, se lança.
« Jacques, Marie-France a raison. Le
problème c’est le ton. Le ton et le regard »
Elle avait parlé d’une voix
étonnamment douce. « Plus dur Jacques. Plus dur. Comme un scalpel. Il faut que ça
claque. Comme une gifle ».
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