vendredi 23 juin 2017

SUNDANCE / GENESE (34)


Ce 25 août 1976, Suzanna s’était réveillée plus tôt que d’habitude. Quelque chose se tramait depuis plusieurs jours, en cet été démarré par une harassante canicule qui avait laissé le pays exsangue. Sécheresse, cultures réduites à néant, kilo de tomates dépassant 4 francs, pics de chaleur de 40 degrés en région parisienne, avec ce que cela suppose pour les personnes âgées.

Qu’elle avait été exceptionnelle, cette saison des beaux jours. Au point que le climat de surchauffe avait gagné jusqu’aux deux têtes de l’exécutif ! A couteaux tirés, le Président et son Premier Ministre avaient échoué à recoller les morceaux, lors d’une invitation lancée par le premier au Fort de Brégançon. C’était plus fort que lui : alors qu’il tentait de regagner à sa cause un homme qu’il méprisait, Giscard n’avait réussi qu’à l’humilier davantage : en le conviant, tel un laquais, avec sa femme Bernadette, à un week end en compagnie de son moniteur de ski. Et de faire s’asseoir ce dernier, à table, ainsi que le premier de ses ministres et son épouse, sur trois chaises… Tandis que lui, trônait aux côtés de Madame sur deux grands fauteuils.

C’en fut trop pour Jacques, et pour Bernadette surtout. Laquelle, au regard des origines, ne put qu’interpréter fort justement ce manque d’égards. Affront au politique, à l’homme et au mari : trois blessures en un seul coup. La décision de rompre fut prise à cause d’une histoire d’étiquette singulièrement parlante pour qui saisissait la conception toute particulière qu’avait le Président du savoir vivre.
En tant que visiteuse privilégiée, Suzanna connut l’intention de Chiarc dès les premières heures. Hormis Pasqua, Pons, Toubon, et bien sûr Pierre Juillet et Marie France Garaud, le secret était bien gardé : l’effet de surprise se devait d’être total.
Jamais, depuis l’avènement de la Vème République, un premier ministre en fonction n’avait osé démissionner en convoquant la presse. Cette mauvaise manière, ce serait la réponse du corrézien à l’auvergnat, celle du laquais au châtelain. Le coup de l’âne d’un vassal humilié au Prince qui s’aimait tant lui-même qu’il en était arrivé au point de ne plus voir d’autre tête que la sienne. Et pour finir, une décoiffante conclusion à un été de feu, prête à accueillir la France des plages avec tambours et trompettes.


Ce fut Marie France Garaud qui lui ouvrit la porte. Son air pincé, lorsqu’elle vit la jeune femme habillée de rouge entrer dans le bureau de Chirac, fit ressentir aux présents son courroux de voir la fille d’un des ennemis de son poulain pénétrer l’intimité de son camp. Elle ignorait tout des assauts que subissait la jeune femme, prise en étau entre un père irrité par la tournure des évènements et par un compagnon fougueux au commencement d’une brillante carrière. L’un et l’autre s’en plaignaient, ce Chirac pouvait d’un coup mettre un terme à leurs projets. N’ignorant rien de sa proximité avec Suzanna, ils n’avaient de cesse de l’assaillir de questions, auxquelles elle répondait invariablement par un: « vous verrez bien ».

Chirac se tenait droit, la gitane en travers des lèvres, assis à un bout de table. Face à lui, Pons tenait la caméra. A dossés au mur du fond, Pasqua, Toubon, Juillet et Marie France, observaient la scène.
« Vas-y Jacques, recommence ! »
Apercevant Suzanna, Chirac esquissa un sourire de contentement, et après avoir écrasé sa cigarette, reprit :
« En effet je ne dispose pas des moyens que j'estime aujourd'hui nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de Premier Ministre. »
Il leva les yeux vers Pons.
« C’est mieux non ?
- Ca se rapproche.
- C’est pas encore ça.
- Les mots sont justes, ponctua Marie France. Ils tombent comme un couperet.
- Les mots ça va, oui, fit Chirac.
- Le problème c’est vous, Jacques. Vous n’y croyez pas, lâcha-t-elle en levant les yeux au ciel.
- C’est quand même pas simple.
- On ne vous demande pas votre avis, Jacques. On vous demande de bien jouer.
- Elle est sacrément difficile votre scène, Marie France !
- Arrêtez de vous croire à la Foire du Trône, Jacques !
- Ah ah, ria-t-il nerveusement. On peut dire que vous avez le sens de la formule. C’est le monde à l’envers ! C’est l’autre qui a le trône et qui a tout fait foirer.
- Continuez, reprit-elle cinglante. Un bateleur de kermesse en héritier du Général : mais où va-t-on ? »
Elle planta son regard noir dans les yeux de son poulain, et dégusta en serrant ses lèvres l’une contre l’autre le trouble qui l’avait envahi.
« Le problème Jacques, c’est le ton. On dirait un petit garçon vexé… Mais il ne s’agit pas de ça ! Il s’agit, excusez-moi Messieurs de devoir enfiler des perles, d’institutions bafouées, au-delà de votre petite personne !
- Bernadette a été humiliée !
- Qui l’a invitée, celle-là ?
- Marie-France s’il vous plait …
- Ah pas de ça, Jacques ! Pas de ça ici ! Pas avec moi ! »
Elle s’était rapprochée de la table, et tous, Suzanna exceptée, avaient frémi.
« La France, ce n’est pas une historiette matrimoniale ! Le seul couple qui compte, c’est Giscard et vous. Et Giscard est le Président, qui ayant nommé un premier ministre, à savoir vous-même, se devait, ainsi que le stipule très expressément la Constitution, le laisser libre de faire son travail ! »
 Les phrases avaient claqué, et résonnèrent dans le grand bureau. Suzanna avança d’un pas, regarda Marie France, et, inspirant profondément, se lança.
« Jacques, Marie-France a raison. Le problème c’est le ton. Le ton et le regard »

Elle avait parlé d’une voix étonnamment douce. « Plus dur Jacques. Plus dur. Comme un scalpel. Il faut que ça claque. Comme une gifle ».


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