Auguste se tenait voûté, face contre
la surface plane de son bureau. Il entendit à peine la lourde porte grincer. Au
crissement des pas sur le plancher, il souleva péniblement la tête, découvrant
une mine lasse.
« Ponia veut qu’on agisse vite, commença-t-il.
Ordre du Président.
- L’affaire ?
- Ca gronde de partout, on sent la
population en état d’hébètement. On ne peut pas ne pas répondre.
- Vous avez une idée ?
- Pas vraiment…
- J’ai cru comprendre que du côté
des avocats…
- Le parquet fait ce qu’il peut,
mais personne ne veut se mouiller pour défendre un type pareil !
- Il n’est pas dit qu’il est
coupable.
- Pour l’opinion, c’est tout comme…
- Mais c’est dégueulasse !
- La tête de l’emploi, on peut rien
y faire.
- Ca veut dire quoi, la tête de
l’emploi ?
- Vous l’avez vu, à la télévision ?
- Non.
- Tout ce qu’il ne fallait pas faire
il l’a fait.
- Et ça suffit pour le juger ?
- Pour l’opinion oui.
- C’est quand même pas à la télé
qu’on ...
- Je suis de ton avis, Pierre. Mais
allez dire à Ponia ! Ici on fait de la politique : voilà sa réponse.
- Ces gens-là feraient bien de venir
chez moi …
- Ca ne les intéresse pas. C’est
trop loin, et il y a trop peu de voix.
- Dégueulasse ! »
Auguste, d’un bond, se redressa.
« Pierre ça suffit. Ici on ne parle
pas comme ça. Ni sur la forme, ni sur le fond »
Il surprit sur le visage du jeune
homme un trouble, et se ravisa.
« Excusez-moi.
- On dit pas plutôt : je vous prie
de m’excuser ? », osa Pierre.
Auguste s’avança lentement en sa
direction, et le prit par le bras.
« Oui. On le dit. »
Tous deux se regardèrent. Celui qui
avait frappé mesurait à présent la profondeur du coup qu’il avait porté
malencontreusement, et semblait désolé.
« Je suis brutal parfois. Et j’ai
tort. Ce n’est pas ma nature, Pierre. Mais parfois j’y suis poussé. Dieu sait
si je ne supporte pas la violence.
- Elle existe pourtant.
- Je le sais. Je ne le sais que
trop. Mais c’est incontrôlable, quand ça vient…
- Ça vient d’où ?
- Je ne sais pas… »
A son tour Pierre prit le bras du vieil
homme et baissa les yeux en signe de respect.
« Vous n’aviez pas tort, Auguste. Je
n’ai pas à parler ainsi ici. Surtout devant vous »
Il l’invita à le suivre en direction
du canapé, et tous deux s’assirent, fourbus.
« Si vous saviez ce que j’ai vécu, fit-il
d’une voix à peine audible.
- Je le lis dans tes yeux.
- Vous voyez la surface. Le reste,
j’ai tout enfoui.
- Ce fut si dur ?
- Pire que ça »
Auguste se pencha vers lui, et,
prenant ses deux mains dans les siennes, inspira.
« Dois-je savoir ?
- Non.
- Suzanna a-t-elle quelque chose à
craindre ?
- Ne vous inquiétez pas. Je veille
sur elle.
- Moi aussi je veille sur elle. Et
donc sur toi. »
A ces mots, Pierre reprit ses mains.
« Je ne te raconte pas d’histoire,
Pierre. Je te dis les choses clairement. Tu es à mes côtés pour elle. Je ne
souhaite rien d’autre. Rien d’autre
- Ce qui veut dire…
- Tu es mon futur beau fils. Et mon
collaborateur.
- Je comprends »
D’une pression sur ses jambes,
Pierre se redressa, et fit face à l’homme qui se tenait encore assis.
« Dites-moi ce que vous avez à me
dire, Auguste.
- Je vais juste t’apprendre ce que
tu dois savoir. Pour elle, donc pour vous deux. Ici, on fait de la politique.
De la politique et rien d’autre. Bien ou mal, ce n’est pas le sujet. Tu
comprends ?
- Je comprends.
- Bien. Donc ce que tu appelles bien
ou mal n’a rien à faire dans nos échanges. Ici, tout est relatif. Forcément
relatif. Entends cela.
- Je l’entends.
- Sommes-nous en phase, Pierre ?
- Nous le sommes, Auguste.
- Je le vois. J’en suis heureux.
Alors disons les choses. Cette affaire Patrick Henry, c’est pour le pouvoir un
atout dans un jeu de cartes. Cet atout, on peut le saisir ou pas. Le Président
en a besoin. Ce n’est pas à nous de dire s’il a tort ou raison, si c’est bien
ou mal. L’opinion a peur, l’opinion attend un procès, l’opinion exige, nous
répondons. Voilà.
- Et donc….
- Et donc, pour un procès il nous
faut un avocat. Ponia a fait arrêter un type, ce type est désormais chez nous.
- C’est clair.
- La politique, c’est pas fait pour
être clair en soi, mais il faut que ça se traduise ainsi.
- Je comprends.
- L’électeur doit s’y retrouver,
entre ses courses et sa grille de mots fléchés.
- Et pourquoi on a du mal à trouver
un avocat ?
- Parce que ce sont des andouilles !
Ils font comme tu faisais il y a encore cinq minutes. Ils confondent tout.
- Quoi, tout ? - La morale et le
job.
- Je comprends. Mais ce n’est pas
simple, tout de même…
- Suzanna, qui a vingt ans, y
parvient très bien !
- C’est votre fille !
- Laure aussi est ma fille…
- Pas de la même façon.
- De son fait à elle, sûrement.
- Du vôtre également » Auguste
fronça les sourcils.
« Ce n’est pas le lieu pour traiter
ce genre d’affaires. Ni le moment.
- Soit. - Bien »
Auguste inspira, et son regard se
perdit.
« Cette fois c’est toi qui dois me
demander pardon. - Si vous insistez…
- Je le demande. Sans insister.
- Prenez ce qu’il vous plaira,
Auguste. Ce qui compte, c’est que j’apprends. »
Pierre surprit un sourire traverser
le visage du Ministre.
« Tu progresses à une vitesse sidérante.
- Si je vous épate, vous m’en voyez ravi.
- Il y a de quoi !
- Vous êtes le Roi, moi le Valet.
Vous vous souvenez ?
- L’exemple de Suzanna était bon. -
Pour quelqu’un de votre monde, forcément.
- On peut savoir ce que c’est, mon
monde ?
- Un monde où l’on n’hésite pas à
considérer quelqu’un comme moi comme un sauvage. Et où on ne se fait pas prier
pour le lui dire.
- Je ne pense pas ça de toi, Pierre
!
- Vous avez tort, Auguste ! Vous
avez franchement tort »
A écouter après la lecture : https://www.youtube.com/watch?v=e-a2rCmrViY
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- Christophe Cros Houplon Writer
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