Ils trouvèrent Suzanne et Laure,
assises le regard sombre, dans le grand salon.
Il était deux heures du matin, la
nuit était noire, et au dehors, un grand froid avait chassé des rues les
troupes habituelles du samedi soir. Laure serrait contre elle Expédit, tandis
que sa mère berçait Valérian, qui dormait d’un sommeil profond.
« Vous avez entendu la nouvelle ?,
murmura la grand-mère en levant les yeux vers les arrivants.
- De quoi parles-tu ?, maugréa
Suzanna, dont le visage trahissait la fatigue.
- Le petit qu’on cherche depuis un
mois. Le petit garçon de huit ans.
- Philippe Henry ?
- Il a été retrouvé mort »
Laure n’avait pas fait un geste en
prononçant ces mots. Elle regardait Expédit, âgé de huit mois à peine, qui
caressait l’air du bout de ses doigts.
« Ce n’est pas croyable… Suzanna, tu
te rends compte ! Ca pourrait être l’un des deux…
- Ah Laure ! Ne dis pas ça ! Il
n’arrivera rien à Valérian ! »
Elle se précipita vers sa mère, et
lui ôta l’enfant des bras. Celui -ci, brusquement, s’éveilla.
« Mon petit ! Mon tout petit !
- Chérie, fit sa mère, tu vas le
réveiller …
- Personne ne touchera à un de tes
cheveux, mon ange »
Suzanna fit quelques pas en arrière,
et serrant son fils, laissa ses cheveux noirs tomber sur lui jusqu’à le cacher
des regards.
« Laissez-nous ! »
Ils la virent reculer vers la porte,
puis se précipiter vers le couloir obscur conduisant à la chambre.
« Qu’est-ce qu’elle a ?, demanda
Laure.
- Tu la connais, répondit Charles en
s’avançant vers elle.
- J’aurais jamais dû parler de cette
histoire.
- Elle est crevée, dit Pierre. Ça a
été avec les garçons ?
- Valérian nous en a fait voir de
toutes les couleurs, répondit la grand-mère.
- Qu’est-ce qu’il a fait ?
- Disons qu’il fait ce qu’il faut
pour capter l’attention !
- C’est-à-dire ?
- Il chouine si on ne répond pas
dans la minute.
- C’est pas comme ça qu’on devient
un homme…., maugréa Charles en se servant un whisky.
- On cède pas comme ça…, sourit
Laure.
- Toi non ! »
Il avala une gorgée, et s’affaissa
aux côtés d’elle.
« Tu me le passes ?
- Il ne dort pas.
- Il dort peu, je trouve…
- Parfois la journée, une ou deux
heures. Mais rarement quand on est avec lui.
- Paraît que j’étais comme ça à
l’époque… »
Laure se rapprocha de Charles, et
baissant les yeux, posa sa main sur son épaule.
« Pourquoi on a tous peur, en ce
moment ? Tu sais ?
- Non. - Tu as peur toi ?
- Plus maintenant.
- Avant ?
- Avant oui.
- Quand tu étais là-bas ? »
Il posa sa main contre la sienne et
la serra contre lui.
« Ce qui compte c’est maintenant.
- L’enfant… Ils l’ont retrouvé mort.
Etranglé dans un appartement.
- Chez nous là-bas, c’est banal.
- D’étrangler les enfants ?
- Là-bas on les retrouve tailladés à
la machette. Des gosses. Des bébés.
- C’est horrible…
- Vous êtes trop fragiles, ici. Un
rien vous effraie.
- Ce ne t’écoeure pas ?
- Si. Mais je suis habitué »
Elle s’écarta de son étreinte, et
s’assit aux côtés de sa mère.
« Je voudrais tant les en préserver,
poursuivit-il en avalant une gorgée.
- Pourquoi tu dis ça ? De quoi tu as
peur ?
- Tu vois Laure, moi aussi, j’ai
peur, finalement »
La grand-mère s’approcha de Pierre
et l’invita à s’asseoir à ses côtés.
« Je sais pas pourquoi il a dit ça,
Roger Gicquel, au journal télévisé. « La France a peur »…. « La France a peur…
». Ce que je sais, c’est que ça a touché quelque chose.
- Quoi, Maman ?
- Nous ! Nous ma chérie !
- Faut pas se laisser happer par la
peur, murmura Pierre. Faut résister. Faut danser avec.
- On n’a pas appris ça, ajouta
Laure.
- Moi si », répondit sa mère.
Ils se tournèrent tous deux vers
elle. Son visage était pâle, et ses mains, parcheminées par des rides,
immobiles.
« On vous a pas appris, Laure. C’est
un tort. Les parents devraient enseigner à leurs enfants qu’à trop se protéger
du mal, on l’attire à soi. On veut votre bien, on vous protège, et on arrive au
résultat inverse.
- Qu’est-ce que tu veux dire, maman
?
- Je ne sais pas si… C’est sans
doute trop tard. Je suis fataliste, ma fille. La vie m’a rendue ainsi.
- C’est normal, d’avoir peur ?
- Bien sûr que c’est normal. Mais il
ne faut pas avoir peur d’avoir peur. Le mal c’est comme le bien. C’est ici,
partout et nulle part. Personne n’y échappe. Même pas moi.
- Tu as fait du mal, maman ?
- Je t’ai fait du mal, sans doute,
en ne te préparant pas à accueillir la nouvelle de la mort d’un enfant.
- On m’a fait du mal en faisant le
contraire, intervint Pierre.
- Comment savoir ?, ajouta Suzanne
en regardant Expédit s’étirer dans les bras de son père. Qui sait de nous si
cet enfant …
- Ce prénom, poursuivit son père…
- Je connais l’histoire, répondit la
grand-mère. En le nommant ainsi, vous l’avez désigné…
- Je sais pas…
- Mais il vous faut aimer les deux
de la même façon …
- Vous savez bien que ça se passe
jamais comme ça…
- Si l’intention est là, si.
- Vous aimez autant Laure que
Suzanna ?
- Autant ! Avec la même intensité,
oui.
- Pourtant Suzanna est dure avec
vous.
- Qu’est-ce que ça change ?
- Tout ?
- Non Pierre »
Elle ôta une perle dans le coin de
son œil.
« On m’a pas appris Madame…
- C’est si difficile, comme parent,
d’être irréprochable…
- Je suis au courant…
- D’un mal un bien …
- Je crois pas…
- Vous verrez bien…
- Quand ? »
Laure surprit son trouble, et voulut
lui prendre l’enfant des bras.
« Au bout.
- Au bout de quoi ?
- De nous-mêmes.
- Vous voulez dire à notre mort ?
- Ou bien au-delà »
A ces mots, le visage d’Expédit s’illumina
A écouter après la lecture : https://www.youtube.com/watch?v=hXRCx8yvxCc
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- Christophe Cros Houplon Writer
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