Ils franchirent tous trois la grille
du Coq et s’engagèrent sur le trottoir de l’avenue Gabriel. Il était près d’une
heure de l’après-midi, et les allées étaient parsemées de badauds.
« Quel homme surprenant, fit
Suzanna, qui marchait entre les deux hommes.
- Ne te fie pas aux apparences,
répondit Auguste.
- Evidemment que je ne me fie pas
aux apparences !
- Il n’est pas sympathique. Pas
sympathique du tout !
- Pas d’accord. Au contraire, je le
trouve extrêmement sympathique ! C’est même dans sa position une qualité
rarissime.
- On voit que tu ne le connais pas !
»
Elle s’arrêta net en plein milieu du
trottoir.
« Ecoutez-moi tous les deux une
bonne fois pour toutes. Vous voulez que je vous dise ? Vous êtes des crétins »
Elle partit au-devant et s’assit sur
un banc.
Elle alluma une cigarette.
« Des crétins »
Sa voix avait pris une assurance
étonnante.
« Approchez ! Pas envie de
m’époumoner »
Les deux hommes se regardèrent,
interloqués. Pierre, le premier, comprit. Il leva le bras vers Auguste, et
tranquillement l’invita à se rapprocher d’elle.
« Tu vois Papa, c’est encore une
fois le plus jeune qui se montre le premier raisonnable. Tu l’as bien choisi,
je te reconnais là »
Elle se tourna vers lui et pencha la
tête en avant
« Mais voilà. Il débute, et toi tu
ne vois pas clair. Et même s’il est là, et même si j’ai accepté de revenir,
t’es toujours à patauger dans ton bourbier »
Auguste baissa la tête.
« Ta petite idée d’association est
incomplète. Tu sais ce que j’en pense. Mais puisque c’est fait, et qu’il n’y a
rien qui puisse vous convaincre d’arrêter, autant faire en sorte que ça marche
»
Elle tira une bouffée et se cala
contre le dossier du banc. Elle avait croisé les jambes, et sa robe rouge se
froissa subtilement.
« Vous avez besoin de moi » Pierre
sentit en lui monter une chaleur. Il la contempla, émerveillé.
« J’ai ce que vous n’avez pas. Je
vois ce que vous ne voyez pas. Utilisez-moi »
Il eut envie de se lever pour la
prendre dans ses bras.
« Je fais court ?
- Je t’écoute, marmonna Auguste.
- Nous t’écoutons !
- Ce Chirac, c’est un chic type.
Vraiment. Je l’aime bien, il me paraît absolument clair dans sa tête. Il sait
ce qu’il veut, il a des convictions, il est solide, il a pas d’états d’âme et
il confond pas tout. Avec un type comme ça, on peut danser.
- Je le vois pas du tout comme toi !
- Je sais papa. T’es juste comme il
a dit, d’une autre génération. T’as besoin qu’on t’aime, et tu loupes le plan
d’ensemble. Là, c’est flagrant. Ce Chirac, tu le regardes comme un malappris
parce que ton patron le méprise. Du coup, toi qui coures après ce qu’il te
refuse, tu en viens à rejeter un éventuel allié pour de mauvaises raisons.
- Suzanna tu ne sais pas …
- Je sais très bien de quoi je
parle. Tu as passé des soirées entières à tout me raconter. Le Président,
Ponia, les affaires de fric, Chirac… Des soirées entières à te morfondre. T’es
dans la plainte en permanence depuis qu’il est arrivé à l’Elysée, t’en peux
plus de courir après le fantôme de Pompidou. Mais il est mort, ton Pompidou. Et
ton Giscard, jamais il ne te donnera ce que tu attends de lui.
- Je…
- Tu quoi ? Il t’a maintenu dans tes
fonctions, que lui demander de plus ? C’est lui le chef, c’est lui l’élu. S’il
a envie de te traiter en laquais, quelle importance ? Tu gagnes moins peut être
? Tu n’as plus de défraiements ? Ton mausolée de la Place Vendôme ? »
Pierre observait avec fascination sa
compagne. Elle était aussi tranchante qu’un scalpel.
« Pierre est rentré dans le jeu :
tant mieux ! C’est mon premier apport, ce ne sera pas le dernier ! Depuis
quelques jours, l’atmosphère a changé, la confiance revient. A deux, vous avez
carte blanche, Giscard vous l’a dit en regardant Pierre. Voilà le ciment de
votre association »
Elle écrasa sa cigarette consumée
sous son talon.
« Mais votre association est
incomplète »
Tous deux se tournèrent vers elle en même temps.
« A Queen. »
Elle se leva lentement, et se
retournant leur fit face.
« Roi de carreau, valet de pique et
dame de cœur, poursuivit elle. La main gagnante. Qu’on la sorte, et le jeu
bouge vraiment. Vous avez vu, tout à l’heure, ces regards…
- J’ai vu, dit Pierre.
- Je crois aussi, ajouta Auguste.
- Et moi donc ! Exprès, forcément. Ça
ne fait pas que des heureux, il y a des regards qui me transperceraient s’ils
étaient armés. Mais c’est cela, qui manque.
- Quoi ma fille ?
- L’intérêt ! L’attention ! Le
soufre !
- Le soufre ?
- Le soufre, oui ! A deux vous êtes
trop sages. Trop mecs. A la fois trop jeune et trop vieux. Moi j’ai quelque
chose d’autre. On a besoin de ça pour ouvrir certaines portes et aussi pour en
fermer. Regarde, ta Françoise Giroud, et puis Chirac : vous avez vu l’effet ?
- Je crois, fit Auguste.
- Tu as vu comme c’est allé vite… Or
c’est de ça dont tu as besoin : aller vite ! Ton Président t’a donné carte
blanche. Mais il a besoin d’avancer ses pions ! »
Elle vint se rasseoir entre eux.
« C’est là que j’interviens. Là où
vous avez besoin d’aller vite, j’entre. Chez Chirac par exemple…
- C’est une mauvaise idée.
- Pourquoi ?
- Il est hors-jeu.
- Pour l’instant ! Tu ne vois
vraiment pas loin papa ! Chirac veut le parti, et il est évident qu’il finira
par l’avoir. Ces quelques vieux mecs mouillés sont contre lui, il a tout
intérêt à nous laisser jouer.
- Le Président ne veut pas entendre
parler de lui !
- Ton Giscard croit encore qu’il a
affaire à un enfant qui va lui ramener l’UDR comme on donne une boite de
soldats de plomb. Il est peut être supérieurement intelligent, mais question
compréhension des autres, il est à côté de la plaque.
- Qu’en sais-tu ?
- Suffit de le regarder ! »
Pierre toussa :
« Auguste, j’ai l’impression qu’elle
dit vrai.
- Toi aussi ? - Ben oui papa. On
s’est pas concertés, et on pense pareil. Pierre connaît encore rien à la
politique d’ici mais il est intuitif
- Giscard se regarde parler, ça
saute aux yeux. L’autre jour, quand il s’est adressé à moi….
- Quand il t’a fait cet honneur…
- Je ne l’ai pas vécu comme un
honneur, Auguste
- Suzanna, aller chez Chirac est
dangereux. Il y a les deux cerbères qui rôdent…
- Marie France Garaud et Pierre
Juillet ?
- Exactement. Si tu es vue de Marie
France, tu n’arriveras à rien.
- Tu n’as qu’à me la présenter
avant. Je ferai ma conne, et elle n’y verra que du feu.
- Dans le registre qui semble être
le tien, elle est passée impératrice depuis quelques siècles
- Cela me va. »
Auguste se leva.
« Ma chérie je suis d’accord pour
que tu nous rejoignes. Tu m’as convaincu. Mais s’il te plait, écoute moi aussi
de temps en temps. Tu as sans doute une analyse très fine de la situation. Mais
toi aussi tu peux commettre des erreurs.
- Je ne demande qu’à apprendre. Jusque-là
tu as toujours cru intelligent de me préserver de tout.
- N’est-ce pas le rôle d’un père ?
- Je ne le pense pas !
- Nous ne voyons pas les choses de
la même façon
- Peu importe ! Je suis majeure
maintenant. Et puis il y a Pierre. »
Elle tendit vers lui sa main, et il
se releva.
« Venez, tous les deux, dit-elle en
les enserrant. Venez contre moi. Venez ! » Elle ouvrit les bras, et les
accueillit tous deux.
« Charlemagne, Judith et Hogier…
- Sainte Triade, murmura Pierre.
- Tu connais aussi ?
- Je suis un joueur de cartes
invétéré, et chez moi les diseuses de bonne aventure…
- Donc tu sais que…
- Que Judith la Reine de cœur coupe
la tête de son amant Holopheme, oui.
- Et que Hogier est l’un des pairs
de Charlemagne.
- Un des douze ! Il y en a onze
autres, chéri !
- Je sais.
- Tu connais l’histoire ?
- Non.
- Ca va mal finir entre Charlemagne
et lui …
- Possible…
- Demande à Laure ! La spécialiste
en Histoire, à la maison, c’est elle !
- Ma chérie, l’interrompit Auguste,
je... »
Mais elle posa sa main sur ses
lèvres.
« Ne dis rien. Ne dis rien ! Embrasse-moi
! Embrassez-moi ! »
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- Christophe Cros Houplon Writer
- SUNDANCE Christophe Cros Houplon
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