« Tu tombes bien Auguste, faut qu’on
cause ! »
Reconnaissant la voix d’entre mille,
Suzanna se retourna en pivotant, et fut soudain recouverte par une ombre
gigantesque. L’homme se tenait debout devant elle, le visage tourné vers son
père.
« Ça t’embête de me suivre ? »
Elle se leva, et son regard ébloui
par le soleil croisa celui de l’homme, caché derrière d’épaisses lunettes en
écaille qui lui retombaient sur le nez. Se penchant, il les fit tomber, et elle
les attrapa au vol.
« Bougez pas ! », lui fit-il en se
penchant encore et en lui tendant une main généreuse.
« Attrapez ça de la main gauche ! »
Elle fut saisie par son éclatant
sourire. Sa dentition était certes parfaite, et sa mise impeccable. Mais
c’était cet appétit joyeux, presque enfantin, dans le fond de l’œil, qu’elle
capta le mieux.
A son tour elle lui sourit, et lui
tendit la main. D’un geste brusque il la souleva du sol, et elle vint presque
tomber dans ses bras, se retenant d’un pied en équilibre, le talon enfoncé dans
la terre. Elle lâcha les lunettes, il voulut s’en saisir à son tour, mais
l’agrippa par la taille alors qu’elle était à deux doigts de s’affaler en
arrière.
« Oh oh, mais restez avec nous ! »,
s’emporta-t-il en éclatant de rire.
Et, la maintenant un instant par les
hanches, il trahit une rougeur, s’accroupit, se saisit de la paire de lunettes
au sol, fouilla dans ses poches, en sortit un mouchoir.
Se redressant sur ses deux immenses
jambes, il les essuya.
« Faut voir clair, Monsieur le
Premier Ministre ! Surtout là où vous êtes !, ria-t-elle en l’observant se
déhancher devant elle.
- Suzanna !, s’agaça Auguste.
- Vous…, balbutia Jacques Chirac.
- Ma fille ! »
A son tour Auguste s’avança, et vint
se poster entre les deux.
« Vous souhaitiez me voir, Jacques ?
»
Mais celui-ci dévorait des yeux la
jeune femme. Il eut un temps d’hésitation qui leur parut à tous fort long. Puis
se saisissant de son mouchoir, s’épousseta le front.
« C’est qu’il fait une de ces
chaleurs ! Ça vous emmerde pas de vous serrer le nœud de cravate en plein cagnard
?
- On est à l’ombre, Jacques …
- Parlez pour vous ! Moi j’arrête
pas de serrer des louches, depuis une heure. Pas une seconde pour moi !
- Vous voulez un rafraichissement ?
- Une baignade dans le bac à
canards, oui ! Non mais vous imaginez la tête du Grand Péteux si on barbottait
dans son bassin ? »
Et il éclata d’un rire si
communicatif que Suzanna fit de même.
« Mais qu’est ce qui te prend ?,
s’agaça Auguste.
- Elle est sympathique, dites donc,
votre fille ! Très sympathique ! On dirait pas, à vous voir…
- On est pas là pour ça ! »,
rétorqua Auguste d’un air pincé.
Sa réplique ne fit que renforcer le
fou rire de sa fille.
« Oh non, fit elle en hoquetant, on
est pas là pour ça ! Pas là pour ça du tout ! »
Pierre vit qu’Auguste bouillait. Il
était devenu rouge, et ne savait plus où se mettre. Il inspira profondément.
Puis avança d’un pas, et tendit la main droite.
« Je suis Pierre Grondin, le
compagnon de Mademoiselle. »
Le Premier Ministre se figea un
instant, puis reprit immédiatement contenance.
« Enchanté jeune homme ! Moi c’est
Jacques Chirac. Appelez-moi Jacques.
- Très heureux également.
- Grondin ? Grondin vous dîtes ?
Grondin de l’île de la Réunion ?
- Là-bas des Grondin vous en avez
par paquets !
- J’en connais des qui…
- C’est bien ceux-là »
Jacques Chirac mit sa main à sa
bouche et plissa les yeux.
« Vous êtes le fils de …
- L’aîné.
- Pfiou ! »
Il marqua un temps d’arrêt, et jeta
un coup d’œil à la dérobée à Auguste.
« On parle mariage, susurra Suzanna
en s’avançant.
- Bigre !
- Eh oui !, minauda-t-elle.
- Eh bien… »
Il semblait perdu dans ses pensées.
« Eh bien jeunes gens, félicitations
! Et tous mes vœux de bonheur !
- Rien n’est fait, ajouta Pierre.
- A part un gosse, ria Suzanna.
- Non ? Vous êtes…
- Eh oui Monsieur le Premier Ministre
! Vous avez devant vous une jeune maman. Un exemple pour la Patrie !
- Oui, oui, en effet !
- Ca s’est fait un peu comme ça,
poursuivit-elle. Voyez, enfin, on avait pas vraiment… Mais bon, une fois que
c’est lancé… Et puis grâce à vous…
- Oui c’est vrai ! Enfin… C’est
plutôt le Grand, là-haut… Et puis Simone ! N’oubliez pas Simone !
- On y pense, on ne pense qu’à elle,
ria Suzanna. Quand même, vos mecs à l’Assemblée, quel spectacle !
- Ah, m’en parlez pas ! J’en suis
encore tout retourné ! Vous savez que j’ai voté pour !
- Faudrait être sourd et aveugle
pour ne pas être au courant ! Mais, poursuivit-elle, pourquoi vous êtes pas
arrivés à les calmer, tous ces vieux cons !
- Mais pour ça, Mademoiselle,
faudrait que je sois leur Patron !
- C’est pas le cas ?
- Pas encore ! »
Il lança un regard de fauve en
direction d’Auguste, et ouvrit grand la bouche.
« Dans ce machin, ya plein de vieux
briscards à qui va falloir réapprendre à ramper !
- Dites donc, avec vous on s’embête
pas !, ria Suzanna.
- Ah ça, s’ennuyer, jamais ! Même si
ça va quand même pas assez vite…
- Avec vous ça va toujours trop
vite, Jacques, murmura Auguste. C’est bien là le problème. »
Chirac sortit de sa poche de
pantalon un paquet de gitanes froissé, et en sortit une qu’il alluma nerveusement.
« Vous fumez comme un cow boy,
s’amusa Suzanna.
- Oh pardon ! Je vous en passe une ?
- Je préfère mes américaines,
répondit-elle en sortant à son tour un paquet de Marlborro.
- Effectivement c’est un autre
genre… Moi je fume français.
- Et moi international ! »
A nouveau Pierre s’interposa
« Ma compagne a de grandes
ambitions. Et quelques petites prétentions…
- Et mon cher et tendre du mal à
comprendre qu’ici certaines règles du jeu lui échappent, répliqua-t-elle
piquante.
- Vu d’où je viens, ça peut se
comprendre
- Alors comme ça tu viens de l’île
de la Réunion ! C’est formidable, Monsieur Chirac ! Fallait que vous
apparaissiez dans ma vie pour qu’il lâche enfin l’info ! »
Elle surprit dans le regard du
Premier Ministre quelque chose qui l’inquiéta.
« Parce que vous savez pas ?
- Ces deux-là me prennent pour une
conne !
- Eh ben ! »
Il observa Auguste qui se
renfrognait à vue d’œil, et ne put s’empêcher de sourire.
« Ca fait deux sacrées nouvelles en
deux minutes ! Eh ben Auguste, là faut que je vous le dise, vous m’épatez !
Franchement vous m’épatez ! Moi qui vous prenais pour un de ces vieux machins
rabougris…
- Vous ne vous trompez pas, Jacques
! Je suis bien un de ces vieux machins rabougris !
- Vous imaginez Chaban, Mesmer et
les autres marier leur fille à un Grondin ?
- Pas vraiment …
- Incroyable ! Au fond vous êtes une
bonne pâte ! Ca alors ! Faut qu’on fête ça !
- Jacques, ne confondez pas tout !
Je ne suis pas achetable.
- Mais qui vous dit que je veux vous
acheter ? Vous me prenez pour un marchand de Ricard ? Vous vous emmêlez les
pinceaux ! Pasqua et moi c’est pas kiff kiff !
- Je ne vois pas de différence…
- Moi je n’achète personne, Auguste
! Moi je mange tout cru ! »
Et il éclata de rire.
« Carnassier ?, demanda Suzanna.
- La tête, surtout ! La tête de veau
!
- J’ai horreur de ça !
- Vous n’aimez pas la viande ? -
J’adore la viande. Mais moi, c’est le reste !
- Pas mal non plus ! Mais pour moi,
rien ne vaut une bonne tête de veau avec une bonne bière pour arroser ça.
- Ça donne envie, fit-elle en se
déhanchant étrangement.
- A la Réunion on m’a dit qu’y en a
qui mangent les gens tout crus, demanda Chirac à Pierre.
- Là-bas c’est là-bas.
- Je crois pas à ce genre de
machins. C’est des carabistouilles !
- On peut jamais savoir avant de
s’être rendu sur place !
- Je connais ! J’y suis allé ! Et
pas qu’une fois !
- Dans les montagnes ?
- Mais non, qu’est-ce que vous
croyez ? Parqué dans un quatre étoiles, avec des pingouins cravatés et des
vieilles biques chiantes comme des culs pincés. Et Bernadette, qui supporte pas
le soleil ! Pas plus que moi, d’ailleurs !
- Donc tout est possible !
- C’est vrai cette histoire ?
- Ca a l’air marrant, ton île,
s’immisça Suzanna.
- Sois pas pressée d’y aller, toi !
- Mais j’adore le soleil !
- Là-bas il te crame direct !
- Tu te répètes, Pierre ! Il est
embêtant, Monsieur Chirac, mon gars, vous trouvez pas ?
- Cesse de faire ta pimbèche !
- Idiot, comment veux-tu que je
fasse ? », fit-elle en venant se lover contre lui.
Chirac recula d’un pas, et se posta
aux côtés d’Auguste.
« Ca va faire des étincelles ces
deux-là !
- J’espère, répondit Auguste.
- Vous avez une de ces chances ! »
Le Ministre de la Justice le
dévisagea. Une lueur de tristesse avait traversé son visage.
« Et vous ?
- Moi ? Moi quoi ?
- Vous avez bien des filles, vous
aussi ?
- Deux. - Comme moi.
- Eh bien ? Où sont-elles ? Ici ?
- Non » Suzanna s’approcha d’eux.
« Pourquoi ? »
Elle aussi avait surpris l’étrange
changement qui s’était opéré. L’homme s’était comme éteint, révélant un visage
insoupçonné.
« Faut pas tout mélanger ! »
Elle plongea son regard dans le
sien, et à son tour fut émue. Puis, se retournant vers son père, elle dit d’une
voix absente.
« C’est vous qui êtes dans le juste
! »
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- Christophe Cros Houplon Writer
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