Auguste referma la porte. Il invita
le couple à s’asseoir dans un canapé, et vint se poster face à eux, sur un
fauteuil étroit.
Suzanna lança des œillades à Pierre.
Son père lui semblait trop ému, sous ce masque solennel qu’elle ne connaissait
que trop. Mais Pierre ne se laissait pas distraire.
« Il faut qu’on se parle, commença
le vieil homme en raclant sa gorge.
- On est un con, il connaît pas son
prénom, minauda telle.
- Pierre, poursuivit son père sans
se formaliser. Tu fais maintenant partie des nôtres. Suzanna, ma chérie, tu ne
pouvais me faire plus plaisir ! »
Le jeune homme recula son assise, et
posa délicatement sa main sur le bras de sa compagne.
« C’est l’homme qu’il te faut.
- Tu es sérieux ?
- Aussi vrai que je puisse l’être »
Suzanna planta ses griffes dans le
bras de son compagnon.
« A trois nous allons faire de
grandes choses, poursuivit-il.
- Papa !
- Attends ma fille ! Laisse-moi
juste expliquer.
- On est deux, Papa !
- Je sais mon ange ! Ce n’est pas ce
que je voulais dire…
- Mais tu as dit que … Ah !
- Pierre travaille avec moi.
- Ben tiens !
- Chérie, j’ai dit avec. Je n’ai pas
dit pour moi.
- Me fais pas rire !
- Suzanna, s’il te plait !,
l’interrompit Pierre.
- Ah Pierre, s’il te plait ! Tu ne
le connais pas. Moi si !
- Suzanna, coupa Auguste !
- Suzanna quoi ? Suzanna quoi ?, s’emporta-t-elle.
- Chérie, ton père et moi sommes
associés. A égalité. Nous n’avons signé aucun contrat. Il ne me l’a pas
proposé, je n’ai pas eu à refuser.
- Mais quel naïf ! »
Elle inspira profondément et tira de
sa poche une cigarette.
« Je sais comment ça va finir. Ça
finit toujours comme ça, avec lui !
- Suzanna ! », crièrent-ils de
concert en se redressant en même temps.
Elle ouvrit la bouche en grand, et
resta un instant, interdite.
« Ça marche, on dirait, votre petite
association ! Vous avez monté tout ça dans votre coin ? Je suis censée faire
quoi, moi ? De la figuration ? »
Elle tira sur sa cigarette et
demeura songeuse. L’un et l’autre l’observaient.
« Faites comme bon vous semble. Mais
ne vous avisez pas de m’imposer vos choix ! Je ne suis pas du genre à me
laisser manipuler aussi facilement !
- Ma chérie, reprit Auguste en se
renfonçant dans le creux de son fauteuil. Je comprends ce que tu ressens. Tu es
en colère, tu as tes raisons. Ni Pierre ni moi ne souhaitons t’imposer quoi que
ce soit. Tu as voulu cet homme ? Il est à toi, il le veut, je suis d’accord. Et
plus que ça !
- C’est ça qui pose problème, papa !
Que tu sois plus que d’accord. On ne te le demande pas !
- On est un con, il connaît pas son
prénom, murmura Pierre ! »
Elle se retourna vers lui, et
esquissa un sourire.
« T’es con !
- Ta cendre !
- Qu’est-ce que t’es con ! »
Il attrapa sa main plus fort.
« C’est toi qui es conne, Suzanna.
Conne, t’as pas idée ! Aussi conne que belle !
- Une belle conne ! Parfait ! Ca
cadre bien dans votre schéma ! »
Se relevant, elle fit quelques pas
en direction de son père.
« Papa, je te le dis. Je préfère
être franche devant vous deux. Et je te prierai de remarquer ceci : je me tiens
debout devant toi. Et dos à lui. »
Auguste la scruta avec perplexité,
dressée devant lui. Sa silhouette lui faisait presque de l’ombre.
« Quand tu dis que Pierre va devenir
ton associé, je te dis ceci. Tu mens. Tu te mens à toi même. Tu mens à ton
futur beau fils. Et tu mens à ta fille. Je te le répète. Jamais cela ne se
passe comme ça. J’ai beau être conne, et n’avoir que dix-huit ans, je sais ça.
Quiconque a un minimum de sens commun sait ça. »
Elle surprit son trouble, et poursuivit
d’une voix plus douce.
« Je vais vous laisser faire.
Puisque je n’ai pas le choix. Je vais donc vous laisser vivre ce que vous avez
à vivre. Ça se terminera comme ça devra se terminer. Mais si d’aventure il
devait y avoir rupture, papa, c’est lui que je choisirai ! »
Elle maintint son regard. Au bout de
quelques secondes, il baissa les yeux.
« Voilà, conclut-elle. Les choses
sont dites, entre nous trois. Le spectacle peut commencer »
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