« Suis-moi, l’invita Auguste en le
précédant d’un pas. Tu restes à mes côtés. Tu observes et tu ne dis rien. S’il
te regarde, tu abaisses légèrement les yeux. S’il tend la main tu t’approches,
t’inclines respectueusement, tu dis « Monsieur le Président », puis après lui
avoir serrée, tu reviens là où tu étais »
Ils attendirent, silencieusement un
quart d’heure dans un vestibule aux tapisseries sombres qu’un huissier vînt les
chercher.
Cela faisait un an et deux mois que
le fringuant Ministre de l’Economie de Georges Pompidou avait remporté le
sceptre au terme d’une campagne éblouissante. Pour un homme à qui tout avait
été donné, occuper ce fauteuil était comme une évidence. Il ne lui fallut pas
un jour pour qu’il s’y sente à son aise.
La première année fut, à l’image de
la campagne, vive, étourdissante et un rien majestueuse. L’homme entré à pied
par les grilles du Château avait su se fondre à son époque, et acté dans les
tous premiers mois de sa monarchie républicaine quelques réelles avancées
sociétales. L’âge de la majorité avait été avancé, de vingt et un à dix-huit
ans. Et le grand combat des femmes, ce droit à l’avortement tant décrié par les
milieux conservateurs dont le nouveau Président était pourtant l’incarnation,
était passé avec toute la démesure qu’il convient de mettre dans une lutte
contre soi-même. Par ces réformes, la seconde surtout, Valéry Giscard d’Estaing
avait voulu entrer dans l’Histoire par la grande porte, et sa marche solitaire
l’avait aidé à réussir.
Ces victoires remportées, celui qui
se voulait le Kennedy français se retrouva face à lui-même, tel qu’il avait
toujours été. Il s’aima en son nouveau palais, d’où il pouvait en quelques
brefs coups de téléphone où sa voix chuintante se reconnaissait au premier
souffle, régir d’une main gantée tout un gouvernement sans hausser le ton. Ses
alliés de circonstance n’avaient pas encore tiré les enseignements de ce pacte
avec le diable. Mais déjà ils commençaient à piaffer d’impatience et de rage
contre leur nouveau monarque. Car celui-ci entendait bien avaler la famille
gaulliste comme un macaron de Ladurée, et ne s’en cachait même pas.
Il ne faisait confiance qu’à un
seul, son ami Michel Poniatovski. Lequel était comme lui noble, mais d’une
manière ô combien plus authentifiée. La particule des d’Estaing avait été
achetée par le grand père Giscard contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Pour le petit Valery, cette vulgaire transaction ne signifiait rien : aussi
vrai qu’il était destiné pour les plus hautes fonctions il était noble, c’était
un fait. Son ami Ponia, nommé Ministre de l’intérieur en titre par le fait du
Roi, était, quant à lui, directement issu d’une lignée de militaires d’essence
noble originaires de Pologne ayant servi les intérêts de Napoléon, et récompensés
de leurs victoires par ce titre qu’ils portaient depuis bientôt deux siècles.
Tel un président de l’ombre, Michel
Poniatovski veillait sur son ami comme on couve un investissement, c’est à dire
jalousement. Elevé dans les Bonnes Œuvres, il ne négligeait aucune des plus
basses, s’y révélant, plus qu’habile :machiavélique.
Tels étaient les deux versants d’une
pièce de monnaie, qui retombait invariablement du même côté. Régie par un
binôme où l’ombre protégeait la lumière aussi parfaitement que la lumière
cachait l’ombre, la France de Giscard, en ce début 1975, somnolait encore.
Pour un homme du rang du Président,
où argent, patrimoine et consanguinité avec le pouvoir constituaient l’alpha et
l’oméga, le ministère d’Auguste représentait un intérêt tout à fait subalterne
au regard d’autres. Economie, international, sociétal : voilà les vrais sujets,
ainsi que le monarque lui-même le rappelait souvent. Voilà où il pouvait se
mettre en scène, dans sa réalité comme dans son illusion, et puiser à pleines
mains de quoi polir le miroir. Le reste, c’est à dire la basse politique, au
rang de laquelle il positionnait le pouvoir judiciaire, était du ressort de
l’intendance. Et l’intendance, c’était Ponia.
Pierre aperçut à peine posé un pied
sur le seuil une haute silhouette de dos, épaisse et généreuse, surmontée d’un
crâne brillant. L’homme qui se tenait face au Président le cachait de toute sa
rondeur. On ne pouvait entrevoir que les deux grandes et filiformes jambes du
Monarque assis à son poste de travail.
Un « Entrez Monsieur le Ministre »
aux sonorités chuintantes permit sans l’ombre d’un doute d’incarner le
personnage au centre de son décor.
Le Ministre de l’Intérieur s’écarta
et, se retournant, découvrit son ami, la plume d’un stylo Mont Blanc suspendue
dans les airs. Concentré et la bouche fermée, le Président ne se laissait
distraire par rien d’autre que par son bon plaisir.
« Qui est donc ce jeune homme,
demanda Michel Poniatovski ?
- Mon cher collègue, laissez-moi
vous présenter mon futur beau fils, répondit Auguste sans oser faire un pas de
plus.
- Il a bien un nom … », questionna
le Ministre en s’avançant à pas feutrés.
Ses yeux malicieux éclairaient un
visage poupin aux joues généreuses. Un fluet chantonnant aux accents presque
enfantins lui tenaient lieu de voix.
« Pierre Grondin, Monsieur le
Ministre, répondit Pierre sans se départir d’une certaine réserve.
- De la famille Grondin, bien sûr…
répondit Ponia en se retournant vers le Président, penché sur sa lecture.
- Celle-là même qui vous cause tant
de torts, répondit Pierre.
- Oh, de torts, comme vous y allez !
C’est quand même bien loin de nous, tout ça ! »
Pierre adressa un regard à Auguste,
qui lui fit comprendre qu’il convenait de conserver le silence.
« Tu as raison, tout ça est fort loin
de nous », chuinta le Président sans relever le menton.
« C’est donc à vous qu’il revient de
pénétrer le cœur…, reprit Ponia en regardant le jeune homme.
- Pierre peut nous aider, Monsieur
le Ministre, répondit Auguste.
- Nous ?, interrogea Ponia.
- Je veux dire… »
Mais il n’osa poursuivre. Le
Président s’était levé, et avançait en leur direction.
« Je n’y vois pas d’inconvénient
majeur. Toi, Michel ?
- Pas davantage. »
Il s’arrêta à quelques pas des
visiteurs, et, relevant le menton, tendit sa main. Auguste s’avança
respectueusement, suivi de Pierre. Tous deux saluèrent le Président avec
déférence, puis reculèrent. D’un geste celui-ci les invita à s’asseoir sur un
canapé qui lui faisait face.
Seul Poniatovski resta debout. Sa
présence, passant de l’un à l’autre, s’autorisant même à contourner le
Président, offrit au cérémonial un peu de cette fraicheur qui amuse autant
qu’elle inquiète.
« Allons à l’essentiel Monsieur le
Ministre. Vous avez déjà vu Michel à plusieurs reprises, qui vous a fait part
de mes instructions. Ces gens-là se conduisent comme des malappris, il convient
d’y mettre un peu d’ordre. Je n’entends pas que l’on puisse dire que certains
membres de ma majorité, fussent-ils du camp rallié, puissent se servir aussi
impunément sans qu’il soit en haut lieu rien décidé. Si tel ou tel a fauté, il
convient, j’insiste, de faire ce qu’il faut.
- Cela n’est que justice, ponctua
Auguste.
- Et la Justice, c’est votre
Ministère. Et donc il vous revient à vous, que j’ai nommé, d’agir.
- C’est que Monsieur le Président…
On ne me laisse pas faire…
- Nous sommes au courant,
l’interrompit Poniatovski. Ne vous occupez pas de Chirac, je m’en charge. Faites
comme on vous dit, et ne soyez pas sensible aux jérémiades de quelques brebis
galeuses chez vous. »
Le Président trahit un léger
sourire.
« Je suis en charge de restaurer une
image, car l’image, comme je le dis souvent, c’est le cœur. Et cette image,
celle de la France, ce ne sont pas, comme le dit Michel, quelques … je ne
trouve pas le mot… qui vont l’écorner. Faites, vous avez ma confiance. Voyez
avec Michel, je ne tiens pas particulièrement à rentrer dans ces détails. A la
place qui est la mienne, on ne se mêle pas de ça »
Pierre observa avec fascination
l’homme qui parlait ainsi, comme au travers de lui-même et sans égard pour
quiconque lui faisait face. Il y avait là une exceptionnelle distinction, et
une autorité tellement naturelle qu’elle en devenait blessante malgré elle.
« Qu’en pensez-vous ? »
La question avait fusé. Le Président
le regardait droit dans les yeux. Une table basse seulement les séparait.
« Qu’en pensez-vous, jeune homme ? »
Pierre sentit son pouls s’accélérer.
Il ravala sa salive avant de répondre d’une voix intimidée.
« Les principes, Monsieur le
Président. Rien que les principes. Tout le reste n’est qu’écume »
Le Président découvrit un sourire
éclairé.
« La jeunesse ! La jeunesse, Michel,
la jeunesse ! Voilà ! Voilà ce vers quoi nous allons, voilà ce que nous
souhaitons incarner ! Quand on est jeune, on voit clair, on parle droit, cela
sonne vrai. C’est exactement ça ! Monsieur le Ministre, vous me voyez enchanté
»
Il se saisit d’une petite cloche et
un huissier apparut.
« Faites-moi donc servir un thé », marmonna-t-il
en maintenant son regard rivé au jeune homme qui lui faisait face.
« Nous avons besoin de jeunes gens
comme vous, dans ce pays, poursuivit-il. De jeunes gens comme vous ».
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- Christophe Cros Houplon Writer
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