mardi 6 juin 2017

SUNDANCE / GENESE (12)


La convalescence de Suzanna fut longue. Rentrée après une semaine de soins, elle souffrait de complications dues à une césarienne décidée un peu tard au cours de l’accouchement. Son ventre lui faisait mal, et son incapacité à accepter de rester alitée n’arrangeait rien. Elle rejetait invariablement les médicaments comme les aliments, et passait ses journées à maugréer. Il n’y avait guère que Pierre qui, rentrant le soir et se postant à son chevet, parvenait à la calmer. Ne répondant pas à ses invectives, il se contentait de poser sa main gauche sur son ventre, et d’attendre en silence que l’effet se propage. Ce qui invariablement arrivait après quelques minutes.

Tous deux décidèrent de placer l’enfant dans la chambre de Laure. Celle-ci obtint de son lycée une dérogation exceptionnelle, et put ainsi rester à domicile, non loin du berceau, avec ses livres d’études et ses cahiers noircis.

Parfois les cris de Suzanna traversaient les murs et la faisaient accourir. Elle se lamentait de trop souffrir, de trop s’ennuyer, d’avoir mal au cœur, d’être sur le point de vomir.

« Pourquoi tu m’abandonnes ? Pourquoi tu me laisses seule ? »

Laure encaissait sans rien dire. Suzanna souffrait trop. Et puis il y avait l’enfant…

Le huitième jour – Pierre était comme à son habitude en cours -, Suzanna l’appela. Elle dut s’époumoner pour se faire entendre, car entre les deux chambres il y avait l’immense salon. Laure recouvrit le berceau d’un voile, tira délicatement le rideau, puis se faufila dans les couloirs.

Suzanna l’attendait, le dos contre un oreiller.
« Où est-il ?, cria-t-elle sans introduction en fixant sa sœur.
- Il… ».
Elle hésita un instant avant de poursuivre.
« Il est avec moi. Il dort.
- Va le chercher ! »
L’ordre avait été prononcé sèchement.
« Mais ma chérie, il dort…
- Fais-le s’il te plait »
Elle souleva sa chemise de nuit trempée et découvrit la cicatrice.
« J’ai envie de voir mon enfant »
Laure sentit le moment arrivé.
« Je vais te l’apporter », répondit-elle en baissant les yeux.
Et elle vint se poster aux côtés de sa sœur, sur le rebord du lit.
« Il faut. Il faut que je te dise.
- Quoi ? » Suzanna avait sursauté.
« Qu’est-ce que tu as à me dire ? »
Laure semblait pétrifiée. Suzanna l’agrippa par le bras, et la secoua.
« Parle, bon sang ! Mais parle !
- Je vais te dire… »
Elle se dégagea de l’emprise.
« Ma chérie, Expedit est né aveugle »
Suzanna s’immobilisa.
« Quoi ?
- Je… Comment dire… Aveugle… il ne voit pas… Enfin, pas clair, pas bien… Des ombres… Il sent… Mais il ne voit pas… »
Suzanna demeurait bouche bée.
« Il sent, je peux te dire ! Les choses, les présences… Je suis à ses côtés en permanence… Quand je m’approche il frémit… Il est si… magique… C’est si … beau… mais…
- Mais il est aveugle ! »
Laure perçut quelque chose, qui lui fit mal.
« Manquait plus que ça… »
Suzanna regardait sa cicatrice en trahissant un rictus.
« Tu te rends compte… Tu te rends compte… Et ça ! T’as vu ça ?
- Tu… tu veux toujours le voir ?
- Il dort, tu m’as dit !
- Tout à l’heure… Quand il se réveillera …
- Mais il ne pourra pas me voir !
- Te voir, sans doute pas… Mais te sentir, oui ! Il est extrêmement …
- Pff »
Elle semblait déjà ailleurs.
« Pierre est au courant ?
- Bien sûr…
- Formidable ! Et…
- Ah Suzanna, quand tu verras ça ! Comme il est fier ! Comme il semble heureux !
- De quoi ? D’avoir un fils aveugle ?
- Quand il le tient dans ses bras, il le… Et Expedit réagit. C’est tout simplement merveilleux. Si tu savais à quel point tu le rends heureux ! »
Elle n’eut pas conscience d’avoir dit ce qu’il fallait au bon moment.
« C’est vrai ?, fit Suzanna en se redressant. Bon, dit-elle en souriant. C’est moche, ce truc sur moi, c’est sûr. Mais si c’est un mal pour un bien, ma foi… »
Elle posa un pied au sol, puis, s’appuyant sur la rambarde du lit, se releva.

« Bon. On va le voir, oui ou merde ? »


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- Christophe Cros Houplon Writer
- SUNDANCE Christophe Cros Houplon

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