Lorsque Simone Veil, le 26 novembre
1974, monta à la tribune, seule face aux déchainements de son camp, Auguste,
qui était pourtant son collègue, et d’entre eux sans doute le plus concerné par
les implications de ladite loi, se fit porter pâle, pour la première et
dernière fois de sa carrière. Suivant les débats sur l’interruption volontaire
de grossesse depuis sa chambre, il songea cent fois à lui faire passer un petit
mot pour témoigner d’un amical soutien. Mais, craignant qu’un écrit puisse par
un intermédiaire fuiter, il n’en fit rien. Lorsqu’essuyant une nuit entière les
quolibets la Ministre finit par fondre en sanglots, il ressentit, plus que de
la gêne, une forme de honte.
C’était deux mois après ce fameux
soir. Deux mois, jour pour jour, qu’elle avait disparu. Il savait où elle se
terrait, son collègue de l’intérieur lui ayant communiqué les informations.
Quémandant un service à ce Michel Poniatovski, le seul homme en qui le
Président plaçait son entière confiance, il s’était en conscience livré pieds
et mains liés à un homme qui le méprisait.
Il accepta donc que l’homme
souffrît, que le ministre souffrît, que le mari même, pût souffrir si
d’aventure son épouse … Car il était avant tout un père. Il accepta aussi
qu’elle puisse vivre à quelques centaines de mètres de lui, sans qu’elle sût
qu’il savait, sans qu’il intervînt. Sans donner un signe de vie. Dans sa
souffrance, Auguste était clairvoyant. Rien de servait de parler, rien ne
servait d’intervenir.
L’enfant naîtrait, les dés étaient
jetés. Il se contenta d’un acquiescement silencieux à la nouvelle loi, ce qui
compte tenu du bord qui était le sien était exceptionnel, car les gaullistes,
une grande majorité d’entre eux du moins, étaient vent debout contre ce cri du
ventre de la société française. Et la France d’Auguste, ce n’était pas, ce
n’était plus celle de Suzanna.
Son épouse s’en étonna, puis s’en
inquiéta. D’où lui venait ce silence ? Comment pouvait-il, lui qui lui avait
fait vivre ce qu’elle avait vécu, se montrer si discret quand le modèle qu’il
lui avait imposé risquait l’implosion ? Y avait-il de la constance, chez cet homme,
et au-delà, dans quelque homme que ce fût, en ce monde ?
Expedit naquit un 25 juin en cette
année 1975. C’est à dire jour pour jour un an après le soir de la rencontre
entre ses deux parents. Il naquit sous le signe du Cancer, dont les principales
caractéristiques sont une extrême sensibilité, un désir irrépressible de
protéger autrui, et la loyauté envers les aimés.
Ce fut Pierre qui proposa ce prénom
à Suzanna sans rien lui dire de sa signification toute particulière ou de son
origine. Elle en aima la sonorité et l’adopta sans hésitation.
Il leur fut impossible de cacher la
naissance, et l’on sut fort tôt dans les petits cénacles que l’une des filles
du Ministre de la Justice avait donné naissance, à l’âge de dix-huit ans, à un
bébé de sexe masculin.
L’on répéta aussi, et Auguste en eut
écho le jour même, que l’accouchement avait été extrêmement douloureux pour la
mère. Le père imagina sa fille entrailles ouvertes puis recousue, et eut un
haut le cœur en visualisant l’image d’un ventre traversé d’une longue
cicatrice.
D’un commun accord avec Suzanna,
Pierre ne mit pas un pied à la maternité, et attendit patiemment le retour de
la mère avec son nourrisson. Laure avait été dépêchée, et veillait dans la
chambre, à demi endormie sur une chaise.
Ce fut elle qui apprit la première,
de la bouche de la sage-femme, à la sortie de la salle d’opération.
L’enfant était né aveugle.
Laure ouvrit un œil. Il faisait nuit
noire dans la chambre d’hôpital où à ses côtés reposait Suzanna, assommée par
des somnifères. Elle surprit un rai de lumière, passer depuis la fenêtre, un
rai d’une extrême subtilité. Qui venait tomber au milieu du berceau.
Elle se redressa, puis s’approcha.
L’enfant était recouvert d’une couverture, l’on ne pouvait rien distinguer,
sinon quelques centimètres du visage, à peine visibles dans l’obscurité.
Le rai de lumière caressait sa peau.
Elle se pencha. Sa chevelure blonde vint recouvrir le petit corps lové sur lui-même,
et subrepticement une mèche tomba sur son front.
Il frémit. Ses mains, minuscules,
sortirent de dessous la couverture, et à tâtons frôlèrent la mèche, puis s’y
agrippèrent.
C’est à cet instant que le rai
pénétra l’œil.
Il lâcha un petit cri, et sembla
sourire. Laure versa une larme. L’enfant, subtilement, ondulait sur lui-même,
comme bercé sur une mer d’étoiles.
« Tu danses… », murmura-t-elle. « Tu
danses, mon enfant ».
Elle surprit, depuis le lit de
Suzanna, un râle. Comme une plainte. Etait-ce une souffrance ? Un cauchemar ?
Elle s’approcha plus près encore de
l’enfant.
A écouter après la lecture (conseillé) :
https://www.youtube.com/watch?v=VyLY8YDWzrQ
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