Dès le premier plan : le mur de
Berlin, avec ses gardes à longue vue armés. Et puis une croix renversée, sur
fond d’un bâtiment sinistre en ruines.
Nous sommes en 1980. Marc, de retour
d’une longue mission secrète dont nous ne saurons rien de l’autre côté du mur,
retrouve à son domicile sa femme Anna, plus que changée, fébrile, inquiète,
totalement à l’ouest pourrait-on dire avec malice. La baie vitrée de leur
appartement aux couleurs bleutées (magnifique photographie de Bruno Nuyten)
donne également sur ce mur de la séparation : celle-ci qui a infecté le
couple.
Soudainement prise de crises d’hystérie,
ne pouvant rester en place, ranger quoi que ce soit ou s’occuper de leur fils
Bob, Anna quitte le domicile avec fracas, laissant son époux terrassé d’angoisse
et livré a la pire des dépressions.
Jusqu’à ce que, s’extrayant d’un hôpital
étrange, il retrouve la disparue chez eux, hystérique, hurlant des horreurs,
pleurant de tout son corps on ne sait trop pourquoi. La gifle, magistrale, qu’il
finira par lui asséner et la mettra en sang la conduira dans les rues désertes
d’une ville fantomatique, a une transe, regard habité, démarche de possédée. D’où
elle s’évanouira une nouvelle fois.
Jusqu’à un appartement ou elle couve
la Bête, la nourrit, s’y adonne en secret. Loin de son mari. Loin de cet amant
quelque peu grotesque, sorte de gourou new Age soliloquant tout de blanc vêtu
vivant chez sa vieille mère.
Tous deux, l’officiel comme l’officieux,
trompés l’un comme l’autre par une sorte de poulpe au tronc humain avec lequel
Anna copule sur un immense lit. Dans cet appartement glauque aux fenêtres elles
aussi donnant sur le mur de la honte.
Cette descente aux enfers d’un
couple en proie aux pires déchirures résonne comme une parabole des séparations
entre deux mondes et deux visions du monde, l’Est et l’Ouest. Egalement comme un
reportage caméra vissée à l’épaule de la gangrène du mal infectant Berlin
Ouest, cet appétit pour la chair, cette perversion par la fausse science, matérialisme
déguisé sous un prêchi prêcha. manipulatoire.
Possession
nous parle surtout de la lutte entre la Foi et le Hasard, ainsi illustrée par
cette longue séquence en caméra super 8 ou Anna, professeur de danse, sadise
une de ses toutes jeunes élèves en lui apprenant le dépassement par la compétition
pour mieux ensuite l’humilier face à ses camarades. Puis, face caméra, pleure
son désarroi d’avoir perdu sa « sœur la foi »
On la surprend, aux pieds d’un
Christ, geignant comme une bête abandonnée, avant de la suivre accoucher littéralement
dans le métro berlinois de liquides sanguinolents, dans une scène qui tient du
vaudou. Ou Adjani, subjuguant, montre d’elle-même la face la plus incroyable de
sa riche personnalité. Une face interdite pour une star, et qu’elle n’aura de
cesse après de regretter d’avoir montrée.
Le scénario de Possession fut écrit par Zulawski d’après sa propre récente biographie.
Polonais d’origine, il avait réalisé deux films dans son pays natal, sous régime
communiste. Le 1er, La Troisième
partie de la nuit, avait reçu un excellent accueil dans des festivals, et
permis le financement du second, Le Diable. Lequel fut censuré par les autorités,
qui l’exfiltrèrent en France discrètement, ou il tourna le mythique L’important c’est d’aimer. Impressionnées
par le succès de leur ressortissant, les autorités de Pologne le rappelèrent
pour lui confier la direction du projet qu’il voulait.
Ce fut Sous le globe d’argent, adaptation de l’œuvre d’anticipation de son
grand-oncle, et parabole critique du régime communiste maquillée en SF. Le
tournage fut arrêté aux deux tiers, et le cinéaste à nouveau chassé dut repartir
en France. Ou il retrouva, tel Marc, sa femme dans un état apocalyptique.
De ce double drame, marital et professionnel,
le demiurge réalisateur parvint à extraire ce brulot qui aujourd’hui est devenu
culte. Au travers duquel avec des années d’avance il tendit à notre
civilisation décadente un miroir que d’aucuns peuvent enfin admettre.
Ce mur, oui, ce mur, ces murs, en nous-mêmes,
entre nous, ces grillages, ces barbelés, ceux du plaisir sans bornes, ceux de l’ego
tueur de la foi, ceux-là qui sont recouverts par des graffitis obscènes emplis
de hasards, ces vies ou l’on s’adonne à ce qu’on veut soi et ou on abandonne derrière
femme, mari, enfants, décence, meilleur de nos traditions et bien sûr foi. Ce
monde dévasté par des hurlements de possédés : qu’est-il, sinon le nôtre ?
Ce fils spirituel de Dostoïevski, à
cheval sur deux mondes, bien ni dans l’un ni dans l’autre, cinéaste et écrivain,
fils de poète et d’aristocrates artistes, propulsé dans un monde hyper matérialiste,
du côté Est comme du côte Ouest, conduit son double Marc à suivre son épouse
jusqu’aux racines du mal. Elle accouchera donc d’un Marc, version maléfique du véritable,
puis mourra sous les coups de feu. Tandis que lui gravira les marches d’un
vertigineux escalier en fer circulaire jusqu’à l’appartement ou reposent le
double de son épouse (l’institutrice également jouée par Adjani, aux yeux verts
transparents) et son fils.
Quand la Bête frappera a la porte, l’enfant
sautera dans son bain se réfugier, le « double bon » d’Anna plongera
son regard clairvoyant dans le nôtre. Et des bruits d’avion et de tirs surgiront
dans le ciel, augurant du commencement de la fin des temps.
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