Incroyable paradoxe ! Ce fut à
Georges Pompidou, le meilleur représentant de la caste de dirigeants
conservateurs qu’il appartint de contenir puis de solder par d’habiles
négociations cet appel à la liberté des tréfonds du pays. Une fois la révolte
étouffée, et aussitôt sortie la figure tutélaire du Général pour un dernier
tour de piste, il put reprendre le flambeau du grand homme, sans rien changer
des structures d’une société qui l’avait fait roi.
Pompidou ne concéda à ce peuple
effrayé par sa propre audace qu’une meilleure répartition des bénéfices ainsi
que quelques timides avancées sociales. Une fois les hochets distribués, la
grande marche industrielle put reprendre à un rythme décuplé, au profit des
mêmes qu’auparavant. Ces années-là furent également belles pour Suzanne, à
compter de l’instant où Claude, l’épouse du Président en exercice, la repéra
lors d’une de ces soirées d’agrément données au Palais de l’Elysée. D’un
tempérament tout aussi discret, détestant la lumière comme les honneurs, Madame
Pompidou comprit en quelques regards, que cette femme effacée couvait de
délicates passions. Elle la convia donc à des promenades en solitaire, où elle
put découvrir sa nature profonde. Elles devinrent amies. Et l’on s’habitua à
les observer de concert, l’une souriante et l’autre sur la réserve, aux
banquets de la République.
Auguste se satisfit de cet
engouement pour son épouse, qui après avoir démontré ses aptitudes à bien tenir
une maison, s’essayait à prendre place dans le petit théâtre des vanités. Sans
rien lui dire, il parla d’elle avec respect comme d’une partenaire loyale.
L’accès aux enfants devint mieux partagé, et il congédia Marie Louise.
A son Ministère, Auguste fut un
cerbère. Il était de notoriété publique qu’une forte inimitié régnait entre celui
qui avait été élu et celui qu’il avait nommé Premier Ministre. Ancien
résistant, Jacques Chaban Delmas n’avait pas le cuir propre à courber l’échine,
et menait une guerre des tranchées pour grappiller quelques miettes d’un
pouvoir qu’on lui comptabilisait. Au Château, les deux qu’on surnommait Les
Maléfiques soufflèrent sur les braises de la détestation : Marie France Garaud
coupait les têtes d’une lame affutée, tandis que Pierre Juillet construisait
l’armée des fantassins. Il ne lui fallut guère qu’un coup d’œil pour cerner
l’âme d’Auguste, et comprendre ce qu’il pouvait en tirer.
Plutôt qu’assiéger la citadelle, les
Maléfiques transformèrent l’Hôtel Matignon en brasier, et le pauvre Chaban en
pompier. Cela dura quatre ans, et le lassa exsangue, telle une baignoire qu’on
aurait percé de mille trous tout en continuant malicieusement à la remplir.
Auguste fut remercié par l’entrée au
capital à d’autres fleurons de l’industrie française. Entrées bien dissimulées,
et à vil prix cédées. Tout fut mis là où il faut comme il faut pour être
préservé des regards, dans des coffres bien fermés.
La scolarité des filles Lewit suivit
son cours dans les meilleurs établissements de la capitale. Toutes deux, fort
brillantes, différaient. Réservée comme sa mère, la blonde Laure s’enfermait
dans les livres, et faisait les délices et les joies de ses professeurs
d’histoire, de philosophie et de lettres. Tandis que Suzanna, aussi brune que
sa sœur était blonde, brillait de mille éclats dans les préaux tout en se
révélant dans les disciplines où les chiffres étaient rois. Malgré leurs
différences, elles étaient inséparables, et s’aimaient sans se jalouser.
L’une appelait le silence que
l’autre lui offrait, et l’autre visait le centre des regards que l’une lui
abandonnait volontiers. Laure était l’aimée de ses professeurs, Suzanna l’élue
des élèves. A quatorze ans, elles irradiaient. Diaphane, élégante et discrète,
Laure faisait se pâmer les parents, séduits par cette aura qui rayonnait sans
jamais faire quoi que ce fût d’osé. Bien en chair, aguicheuse et rieuse,
Suzanna attirait à elle les convoitises des garçons et les jalousies des
filles, mettant du trouble là où sa sœur jumelle tissait du lien.
Auguste eut toute la peine du monde
à les traiter équitablement, tant le comportement de l’une à son endroit
différait de celui de l’autre. Ce qui était venu dès les premiers mois s’était
enraciné. Aussi vrai que Suzanna recherchait son regard, Laure l’évitait. Loin
de s’en satisfaire, il en souffrait, et tâchait de compenser par mille
attentions ce qui ne s’offrait pas, délaissant du coup celle qui ne lui donnait
que trop. Mise dans la confidence, la mère tâcha de faire entendre raison à la
jeune fille, mais ne parvint guère qu’à la rapprocher d’elle.
Leur pedigree leur offrit de nombreux
passe-droits, aussi récusés par l’une que recherchés par l’autre. Le
portefeuille du père ouvrait la porte à de nombreux secrets, à une époque où le
cordon entre chancellerie et magistrats était capable de tirer cent vaisseaux.
Les parents des amies devinrent à la fois des ambassadeurs et des pourvoyeurs.
Faisant ce qu’il fallait pour que les deux jeunes femmes y perdent raison.
La mère s’en aperçut, mais le père
laissa faire.
Et Suzanna, à peine âgée de quinze
ans, devint une petite princesse à qui l’on ne pouvait rien refuser.
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