Présenté hors compétition dans un
climat de scandale, LOVE fut vendu par la presse chroniqueuse comme un porno en
3D quelque peu salace destiné à choquer le bourgeois tout en excitant ses sens.
Ce qui s’appelle taper en dessous de la ceinture, et faire preuve de bien peu
de cas pour ce film que je considère être une des œuvres françaises les plus
remarquables de ce début de siècle.
Aux envolées romanesques d’un
Truffaut à la fin du siècle dernier, Gaspar Noé oppose sur un thème équivalent
non pas un antidote ou un poison, mais un horizon nouveau correspondant à l’époque
au point de la traduire comme personne avant lui. C’est le rôle des défricheurs,
et le sulfureux réalisateur d’Irréversible était sans doute le seul à même d’y
parvenir.
Ainsi donc la passion, la passion
amoureuse, fulgurante, entrainante et charnelle, charnelle forcément, charnelle
surtout. Celle de deux jeunes individus, une femme très belle et très brune et
un homme très « mec », sorte de taureau phallus en érection
permanente. Tous deux vont – le film est construit à l’envers, comme à peu près
tous les précédents de l’auteur, remonter à rebours le fleuve les amenant de l’Après
(quand c’est fini, quand elle est partie) aux Origines. Et appréhender, sans
jamais dissimuler les étapes de la fusion et de la collision des corps en
sueur, la démonstration et la destruction de l’amour libertaire, celui de l’époque,
celui ou tous les interdits et les tabous sont là pour être un a un franchis
puis transgressés.
Donc l’amour : car ils s’aiment,
elle l’aime davantage de lui qui s’aime tant lui-même qu’à la fin c’est bel et
bien lui qui finit en pleurs. Un amour fusion, un amour passion, un amour coït,
un amour ou à deux on descend dans les bas-fonds et où il l’entraine à se
donner à d’autres devant lui, comme on fait d’un jouet. Tandis qu’elle,
acceptant la transgression, n’a d’yeux que pour lui. Mais tout abandonné a sa quête
de puissance et son désir de tenir le guidon, cet enfant roi aveugle ne
surprend pas dans le regard de l’aimée qui sous ses yeux se fait pénétrer par d’autres qu'elle souffre atrocement. Car c’est bien son corps a elle et donc sa personne et dans
celle-là la plus belle part, la part aimante, avec laquelle il joue et qu’il
instrumentalise. Lui ne fait que regarder et bande, mais son érection va se
payer cher, très cher. Car il a dépassé la limite par jeu et par gout du jeu,
du jeu de pouvoir, et celui-ci va se venger.
Partie, le voilà quelques mois (…) après
emmuré, littéralement, dans un appartement terne. La même ou auparavant, sur le
lit, éclairés par des néons doux, ils faisaient l’amour. Elle n’est plus là, on
ne sait depuis quand, simplement qu’elle l’a quitté, et lui est entré dans la
norme. Une femme blonde a pris la place, et il y a un enfant en très bas âge,
un fils. L’enfant Roi est devenu Père, et la maman est sortie travailler,
tandis que lui se remémore le LOVE perdu, ces mois d’Eden avec la disparue. Et,
quand vient le soir, il pleut au dehors, et il pleut au-dedans. La mère n’est
toujours pas rentrée, et dans l’appartement où il se terre l’homme soudain
explose, crie, hurle de douleur. Le temps a fait son œuvre, nous dit Noé, il a
enfin compris. Il est donc « assis », dans la norme, revenu à la réalité
la plus terne, sans LOVE, et il crie le Paradis Perdu.
Et le film se termine sur cette image.
L’image d’un désastre avec lequel il va falloir faire, c’est-à-dire poursuivre
sa vie. Sans passion. Sans amour.
Et avec un enfant sur les bras, qui
a pris la place de l’enfant roi enfin mort. C’est le chant du cygne du
libertaire et son accession douloureuse à la réalité adulte, celle-là ou chacun
est responsable de ses actes, fut-il éduqué en irresponsabilité bien en amont
par des parents défaillants. La faille au-dedans (la fragilité amoureuse) était
en même temps la pépite (la capacité a aimer), mais le point de bascule eut
lieu, nous souffle Noé avec sa construction à rebours, la porte est définitivement
close. Et la salle de bains rouge sang et rouge passion. On a FAIT le LOVE sans
ETRE in LOVE. Par besoin, comme des bêtes, et on a joué avec les sentiments de
l’autre comme des enfants. Voilà.
C’est fini, la salle se rallume. Et la non-vie peut commencer.
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