mardi 23 mai 2017

Le Vaste Plan – 2 – Reporting reptilien.


Ce fut le chat Belzébuth qui, s’extrayant d’un demi sommeil, reconnut le premier le sifflement du serpent se glissant onctueusement le long du mur de verre. Tous deux se connaissaient bien, depuis l’Antique Civilisation ou le second avait tenté d’une bouchée d’avaler le premier, et s’était pris en revers le feu de l’Enfer. « Ne t’avise jamais de mettre l’ombre du Malin dans ta gueule, froid reptile, ou tu verras tes boyaux éviscérés sécher aux vents ».

Depuis ce pacte, l’entente, à défaut d’être bonne, tant ce mot en ces lieux était proscrit jusqu’à sa racine même, fut de circonstance. L’émissaire baveux respectant le félin, Ombre noire de la Bête, laquelle veillait le sommeil des Frères assoupis.

Son miaulement lacéré réveilla les vieillards, qui virent s’avancer le reptilien au centre du salon.

«  Te revoilà donc, infect boyau, l’accueillit l’un des Apôtres, celui-là que les autres appelaient Le Fêlé, tant sa malfaisance dépassait parfois les bornes de la déraison la plus obscure. Que nous vaut ce réveil fort peu opportun ?
-          De bien méchantes nouvelles, Sire, susurra la bestiole aplatie. Qui je n’en doute point vous feront bicher telles des marquises en pamoison.
-          Moques-toi encore une fois, et Belzebuth t’émascule, répondit Le Fêlé.
-          Mais, Sire, persifla l’infect, votre mémoire vous joue des tours… Ce tour eut déjà lieu, et vous tous avez dévoré l’attribut sous mes yeux. Pardonnez ce qui vous semble déficit de dévotion, et mettez cela au débit d’une créature sans cervelle : mais par Satan notre Maitre, goutez mes paroles, je suis là pour vous complaire.
-          Nous t’écoutons, avorton, reprit le Frère Suprême. Parle sans crainte, notre Frère n’a plus guère de ses gouttes et parfois soliloque.
-          Merci O Vénérable, susurra en un froid ricanement l’immonde serviteur. Je reviens de l’Assemblée des Industries, dans cette ville lointaine ou chaque année…
-          Ah, s’exclama le Frère Suprême en redressant son corps fourbu. Enfin, nous attendions cela impatiemment : que nous apprend le Règne de la Quantité ?
-          Leurs poches ont encore …
-          Il suffit, avorton : tu sais bien que de cela nous nous moquons ! Vas-t’en donc à l’essentiel : combien ?
-          Les ratios sont subtils O Maitre et puissamment nombreux mais éloquents. Partout les maladies ont doublé, en tous lieux et en tous organes. L’aliment, l’eau, l’air et le soin : tous ont produit l’attendu.
-          Dis m’en davantage, exulta le Premier des Apôtres, accueillant le Chat Noir sur ses genoux.
-          Les peaux des nourrissons, infectées de leurs crèmes, laissent passer les microbes comme le ferait une porte ouverte. Nos vaccins attaquent les défenses, et les cerveaux à peine éclos se fissurent en nombre. Ça commence même dans le ventre des pondeuses, avec l’aluminium de l’eau et les chimiqueries des aliments. Le plasma devient un cloaque ou l’encore-pas-né étouffe souvent.
-          Ça leur fera un aperçu du dehors, ricana Le Fêlé.
-          L’Aliment infecte attaque les défenses de chacune et de chacun, et les portefeuilles se vidant, les gueux s’en vont au moins disant plus nombreux …
-          … Là où le danger est le plus grand, ricana Le Fêlé.
-          … puis s’en vont chez les blouses blanches se faire prescrire nos poisons, reprit le reptile.
-          Le serpent qui se mord la queue en somme. Et l’eau ? Avons-nous atteint le doublement en aluminium une nouvelle fois ?
-          Oui Sire, une fois encore. Nous ne touchons pas encore toute la planète, mais avec la corruption des Elites nos Multi-Industries se poussent des coudes et privatisent en sous mains. Tous à terme ou presque seront touchés.
-          Comment ça, presque, se fâcha Le Fêlé en lui jetant son vieux soulier. TOUS ! Il nous les faut TOUS !
-          Patience, le coupa le Frère Suprême. Il est des terres lointaines dont nous nous soucierons en dernier lieu. Continue, reptile.
-          L’air, Messires, et avec lui la dérégulation volontaire du climat qui nous sert, est devenu poison.
-          Nous le savons bien.
-          Les gueux étouffent sans le savoir à petit feu dans leurs rues et leurs prairies. Ça va être …
-          Tu as un chiffre ?
-          Une estimation plutôt. On parle d’un demi-milliard.
-          Ça laisse de la marge pour nos merveilleux champignons, murmura Le Fêlé en haussant les épaules.
-          Les guerres civiles tueront les autres plus vite, reprit Le Premier des Apôtres en caressant Belzebuth. L’A. nous l’a prédit. Tout ce délitement des corps et des âmes est un allié imparable en temps de chaos.
-          Les peaux des gueux, ceux d’en bas mais aussi ceux qui se croient ailleurs qu’à leur vraie place, avec ces cosmétiques infectés, vont devenir d’affreuses crevasses, reprit le gluant reptile. Et leurs dents emplies de plomb tomberont une à une.
-          Ça fera toujours ça de moins en selfies, ricana Le Fêlé soudain pris d’une danse de Saint Guy.
-          Ainsi empoisonnées nos créatures vont lentement dépérir, et nos hôpitaux insécurisés accueilleront ces morts vivants pour mieux les y infecter davantage. Parfait : le Vaste Plan se met en place aussi surement que nous l’avions prévu. Avec, si j’ai bien tout suivi, une légère avance sur le calendrier. Frères, il va nous falloir fournir nos gouverneurs en argumentaire de crises d’ici peu. Car quand les rejetons des marionnettes des médias seront à leur tour atteints, pour sûr qu’ils vont s’inscrire chez Mélenchon en masse, ces cornichons !
-          J’appellerai le Scribe dès demain, O Suprême, répondit un des Frères.
-          As-tu quelque chose à ajouter, visqueux morpion ?, reprit Le Vénérable Obscur.
-          J’ai fini ma synthèse, bava le servile porte serviette.
-          Alors cesse de maculer notre sol de ta salive toxique et vas t’en donc gober les rats que nous t’avons réservés. A l’année prochaine, et fais en sorte que ce soit aussi exquis que ce cru-ci. Et n’oublie pas que tu as droit de vie ou de mot sur tous les pantins à la tête de ces industries si jamais celles-ci n’atteignent point les objectifs que nous leur avons assigné. Eux et toute leur famille bien sûr.
-          Je ne suis pas animal à oublier la moindre tête blonde », ricana le reptile en sortant du salon dans un bruissement vénéneux.

Tous, à sa sortie, s’observèrent, contenant leur joie. Il y avait là comme un couronnement des faits à faire connaitre au plus vite à leur Maitre. Et un soulagement aussi, car ce dernier, quoi qu’encore adolescent les avait prévenus : si les résultats étaient en deca de l’objectif, l’un des douze serait éviscéré et dévoré sous ses yeux par les onze autres.


« Je l’appellerai demain. Et Lui dirai, murmura Le Suprême, songeur. Fêlé, tu l’as échappé belle, et nous pauvres bougres allons devoir te supporter encore un an de plus. Depuis que Belzebuth t’a de ses griffes arraché l’engin, tu es devenu pire que démoniaque : presque gentillet ».


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