On va bientôt devoir partir et
laisser derrière nous cette magnifique famille et cette adorable maison avec jardin.
El señor, la señora, ce couple âgé de plus de 70 ans, leur fils Juan, les deux
chats, le gris et puis le petit Chaplin, la chienne Queen, et puis les poules,
les coqs et les poussins. Une fois encore partir, avec surement un pincement au
cœur un peu plus fort que les fois précédentes cette fois, tant ici on s’est
sentis, plus que bien : en famille. Les petits plats délicieux concoctes
par la señora vont me manquer.
Partir avant de trop s’attacher, on
a pris cette voie-là et depuis cinq mois les occasions se sont multipliées. De
superbes rencontres, des moments de partage denses et concentres dans le temps,
et puis un matin…
Il y a du bon dans cette démarche.
Quand on reste trop près et trop longtemps auprès de ceux qu’on aime, il y a
toujours le risque qu’à un moment l’harmonie se fissure. L’expérience de la vie
nous l’apprend, on ne peut jamais être toujours en diapason, et c’est difficile
que d’admettre que ce qui fut peut se briser pour un temps ou pour toujours.
Parfois, tacher de recoller les
morceaux aggrave l’incompréhension, seuls l’éloignement et le temps peuvent interférer
sur le cœur des choses et rameuter au-dedans le meilleur qui y sommeillait
comme malgré notre vouloir du moment.
Un des plus beaux mots à mon sens de
notre dictionnaire est le verbe « consentir ». Le consentement a à
voir avec l’acceptation du réel tel qu’il est et avec une aptitude à ne pas
agir. C’est pour moi affaire de foi et de sagesse que d’aller dans cette direction-là.
Ne pas agir et laisser les choses se faire ou se défaire en me mettant
suffisamment à distance pour veiller et observer sans peser sur l’évènement. Défaire
le faire a à voir avec une forme de de-tricotage de l’ego envahissant.
Ne pas se sentir lié ou contraint
par quiconque permet la liberté d’écrire et de vivre pleinement dans une bulle
depuis laquelle je vois plus juste il me semble. Je surprends mes pensées
telles des plumes dans le vent, me surprends glisser sur les trottoirs, seul,
le sourire aux lèvres, sens venir le ressac des mots et des textes qui vont tel
un flux couler de mes doigts. Je revois certains visages aimés d’hier, ceux-là
que mon cœur a isolés dans un petit coin secret, auxquels je reste secrètement fidèle,
une petite poignée. Aucun d’eux ne sait que si quelque chose advenait et s’il
leur venait le besoin que je leur vienne en aide je serais là
inconditionnellement.
A bien d’autres j’ai délibérément
fermé la porte, sans colère et sans fracas. J’ai tendance à penser que dire « jamais »
et « toujours » est du ressort du langage des enfants, mais crois
(dans le sens : j’ai fait l’expérience) que certaines portes ne méritent
tout simplement pas d’être rouvertes. Cela (ceux-là) n’en valent tut simplement
pas la peine, tant la vie sans eux est meilleure qu’à leurs côtés.
Je me souviens, cela remonte à vingt
ans au moins, de ce pote que j’avais, pour qui j’avais fait énormément et qui m’avait
– plus que trahi – couvert de crachats, dans mon dos, parce que j’avais eu le
malheur de lui refuser ce qu’il voulait. Je me souviens de la peine que j’en
avais ressentie, de ma difficulté à admettre et à tourner cette page, tant les moments
à deux avaient été beaux. Le temps, à un moment, a fait que regardant dans le rétroviseur
j’ai senti la porte intérieure se cadenasser une bonne fois pour toutes. Ça s’est
fait tout seul, un soir. Et puis, des années après, je l’ai fortuitement
recroisé. Il s’est avancé vers moi le regard sombre et m’a appris qu’il venait
d’enterrer son père. J’ai dit « ah, désolé pour toi ».
Et puis j’ai détourné les talons
sans prononcer un mot de plus.
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