jeudi 27 avril 2017

Vie et Mort en direct de Romy S.


« Non ne faites pas de photos, je suis une comédienne, vous savez, je sais faire mieux que ça ».

Cette réplique bafouillée par une Romy en larmes, à califourchon sur un homme en sang et qui ouvre le bouleversant L’important c’est d’aimer, j’imagine qu’elle aurait pu la prononcer telle quelle quand quelques années plus tard (c’était en 1981), la vie venant de lui ôter dans de tragiques circonstances son fils David, elle découvrit horrifiée qu’un photographe s’étant glissé à la morgue ou reposait le corps de son enfant  avait pu ainsi permettre à « une certaine presse » de publier l’odieux cliché en une.

Un an plus tôt sortait dans les salles françaises La mort en direct, tourné à Glasgow en Ecosse, et dont le sujet entrait en résonnance avec quelque avance sur la biographie de l’actrice. Dans un monde ou la science avait réussi à éradiquer la maladie, une chaine de télévision inventait une émission de télé réalité (bien avant l’avènement de celle-ci) dont le pitch était de suivre à la trace une femme à laquelle on avait à son insu injecté un virus pour la faire à petits feux mourir. Suivie par un homme étrange à qui on avait greffé dans les yeux une caméra, Katherine Mortenhoe vivait alors devant nos yeux ses derniers instants de vie. Et le spectacle de sa mort nous maintenait cloués au fauteuil, témoins passifs et donc consentants de sa lente agonie.


La véritable Romy s’éteignit en 1982, deux ans plus tard, laissant son pays d’adoption sans voix.

La vie de cette actrice mythique se confond avec l’histoire de la seconde moitié du siècle dernier, avec ses pages les plus noires comme avec ses moments les plus beaux. Celle qui grâce à la camera de Claude Sautet devint, elle l’autrichienne, l’incarnation sublimée de la femme française, naquit sous les cieux du nid d’Aigle, et grandit dans un petit village de Bavière en jouant sans le savoir avec les enfants des plus hauts dignitaires du régime nazi.

Sa mère, national socialiste fervente et amie du Führer, possédait un chalet non loin de celui du Maitre du IIIème Reich. Et connut, à la chute du régime, une période d’indignité dont elle parvint à s’extraire en utilisant sa fille unique pour repeindre en rose bonbon l’image dégradée d’un pays ainsi que la sienne.

Cette mère maquerelle tenait la jeune femme de près comme un investissement, négociant ses cachets et les conservant jusqu’à sa majorité. Mais cette dernière, éprise de liberté, eut tôt fait de profiter d’un tournage en France ou elle tomba amoureuse du bel Alain Delon pour s’échapper du nid et vivre comme elle l’entendait sa vie.

L’abandon de l’Allemagne au profit de l’ancien ennemi français fut vécu outre-Rhin comme une trahison, et de très nombreuses plumes teutonnes la poursuivirent jusqu’à sa mort de leur vindicte.

Quand celle-ci découvrit l’horreur de ses origines, qu’elle sut la face cachée de cet Hitler sur les genoux duquel petite fille elle sautait, quand elle apprit l’horreur des camps, elle fut à ce point bouleversée qu’elle porta toute sa vie dans sa chair cette monstruosité, offrant à ses deux enfants des prénoms juifs, et signant des deux mains tout projet (jusqu’à son dernier, celui auquel elle tenait le plus, La Passante du sans souci) traitant de cette guerre-là. Le Train et Le vieux Fusil  sont sans doute les plus beaux.



A peine trente ans après la fin des bombardements, elle devint elle, « l’autre chienne » comme l’appelait son ami Michel Piccoli, elle la schleu, l’actrice préférée des français, la femme idéale dont les hommes tombaient amoureux, et celle que les femmes prenaient pour modèle. Elle devint l’actrice de Claude Sautet, la Rosalie de la France des années Pompidou et Giscard, celle qui vivait à l’écran « Une histoire simple » et la partageait avec ses somptueux regards camera.

Laquelle histoire loin des projecteurs, allait dans un sens radicalement inverse. Comme si ce don à incarner un pays autrefois ennemi et donc la réconciliation dans une mémoire enfin acceptée devait se payer pour celle qui avait revêtu l’habit de mille souffrances. Son appel au bonheur, si éclatant dans certains plans de La piscine, par exemple, cette faculté à prendre la lumière et a irradier furent année après année rongés par des séparations, des dépressions, des deuils et des drames. Depuis le suicide de son ex-mari jusqu’à la mort dans des circonstances tragiques de son fils.

Si la presse et les paparazzis la pourchassèrent, l’immense public qu’elle drainait depuis longtemps jamais ne voulut regarder cette « mort en direct », et la respecta infiniment jusqu’à son dernier souffle.

Elle demeure, trente-cinq ans après sa mort prématurée, plus qu’une icône : une incarnation et un modèle, et l’actrice sans doute de tous temps la plus aimée en France. Son chemin de croix préfigurait le temps des barbares, celui de la téléréalité, des portables qui te filment à ton insu jusqu’à ce que comme au cirque tu t’écroules la gueule ouverte. Ce temps  des émissions vulgaires, des célébrités jetables et des ricanements.

Elle fut heureusement Reine en un temps pas si ancien ou admirer était une valeur hautement partagée, à une époque de conquête de libertés qui ne vivait pas dans la peur ou on reconstruisait ce qui avait été détruit.

Née dans le nid de l’Aigle, la petite Romy s’en était envolée au loin, et avait déposé sur son passage des pépites gravées sur pellicule.

Qui dans cent ans feront encore pleurer mais aussi rever. Astre noir tragique illuminant nos mémoires d’enfants.




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