« Non ne faites pas de photos, je suis une
comédienne, vous savez, je sais faire mieux que ça ».
Cette réplique bafouillée par une Romy en
larmes, à califourchon sur un homme en sang et qui ouvre le bouleversant L’important c’est d’aimer, j’imagine qu’elle
aurait pu la prononcer telle quelle quand quelques années plus tard (c’était en
1981), la vie venant de lui ôter dans de tragiques circonstances son fils
David, elle découvrit horrifiée qu’un photographe s’étant glissé à la morgue ou
reposait le corps de son enfant avait pu
ainsi permettre à « une certaine presse » de publier l’odieux cliché
en une.
Un an plus tôt sortait dans les salles françaises
La mort en direct, tourné à Glasgow
en Ecosse, et dont le sujet entrait en résonnance avec quelque avance sur la
biographie de l’actrice. Dans un monde ou la science avait réussi à éradiquer
la maladie, une chaine de télévision inventait une émission de télé réalité
(bien avant l’avènement de celle-ci) dont le pitch était de suivre à la trace
une femme à laquelle on avait à son insu injecté un virus pour la faire à
petits feux mourir. Suivie par un homme étrange à qui on avait greffé dans les
yeux une caméra, Katherine Mortenhoe vivait alors devant nos yeux ses derniers
instants de vie. Et le spectacle de sa mort nous maintenait cloués au fauteuil,
témoins passifs et donc consentants de sa lente agonie.
La véritable Romy s’éteignit en 1982, deux ans
plus tard, laissant son pays d’adoption sans voix.
La vie de cette actrice mythique se confond
avec l’histoire de la seconde moitié du siècle dernier, avec ses pages les plus
noires comme avec ses moments les plus beaux. Celle qui grâce à la camera de
Claude Sautet devint, elle l’autrichienne, l’incarnation sublimée de la femme française,
naquit sous les cieux du nid d’Aigle, et grandit dans un petit village de Bavière
en jouant sans le savoir avec les enfants des plus hauts dignitaires du régime
nazi.
Sa mère, national socialiste fervente et amie
du Führer, possédait un chalet non loin de celui du Maitre du IIIème Reich. Et connut,
à la chute du régime, une période d’indignité dont elle parvint à s’extraire en
utilisant sa fille unique pour repeindre en rose bonbon l’image dégradée d’un
pays ainsi que la sienne.
Cette mère maquerelle tenait la jeune femme de près
comme un investissement, négociant ses cachets et les conservant jusqu’à sa majorité.
Mais cette dernière, éprise de liberté, eut tôt fait de profiter d’un tournage
en France ou elle tomba amoureuse du bel Alain Delon pour s’échapper du nid et
vivre comme elle l’entendait sa vie.
L’abandon de l’Allemagne au profit de l’ancien
ennemi français fut vécu outre-Rhin comme une trahison, et de très nombreuses
plumes teutonnes la poursuivirent jusqu’à sa mort de leur vindicte.
Quand celle-ci découvrit l’horreur de ses
origines, qu’elle sut la face cachée de cet Hitler sur les genoux duquel petite
fille elle sautait, quand elle apprit l’horreur des camps, elle fut à ce point bouleversée
qu’elle porta toute sa vie dans sa chair cette monstruosité, offrant à ses deux
enfants des prénoms juifs, et signant des deux mains tout projet (jusqu’à son
dernier, celui auquel elle tenait le plus, La
Passante du sans souci) traitant de cette guerre-là. Le Train et Le vieux Fusil sont sans doute les plus beaux.
A peine trente ans après la fin des
bombardements, elle devint elle, « l’autre chienne » comme l’appelait
son ami Michel Piccoli, elle la schleu, l’actrice préférée des français, la
femme idéale dont les hommes tombaient amoureux, et celle que les femmes
prenaient pour modèle. Elle devint l’actrice de Claude Sautet, la Rosalie de la
France des années Pompidou et Giscard, celle qui vivait à l’écran « Une histoire
simple » et la partageait avec ses somptueux regards camera.
Laquelle histoire loin des projecteurs, allait
dans un sens radicalement inverse. Comme si ce don à incarner un pays autrefois
ennemi et donc la réconciliation dans une mémoire enfin acceptée devait se
payer pour celle qui avait revêtu l’habit de mille souffrances. Son appel au
bonheur, si éclatant dans certains plans de La piscine, par exemple, cette faculté
à prendre la lumière et a irradier furent année après année rongés par des séparations,
des dépressions, des deuils et des drames. Depuis le suicide de son ex-mari jusqu’à
la mort dans des circonstances tragiques de son fils.
Si la presse et les paparazzis la pourchassèrent,
l’immense public qu’elle drainait depuis longtemps jamais ne voulut regarder
cette « mort en direct », et la respecta infiniment jusqu’à son
dernier souffle.
Elle demeure, trente-cinq ans après sa mort prématurée,
plus qu’une icône : une incarnation et un modèle, et l’actrice sans doute
de tous temps la plus aimée en France. Son chemin de croix préfigurait le temps
des barbares, celui de la téléréalité, des portables qui te filment à ton insu jusqu’à
ce que comme au cirque tu t’écroules la gueule ouverte. Ce temps des émissions vulgaires, des célébrités
jetables et des ricanements.
Elle fut heureusement Reine en un temps pas si
ancien ou admirer était une valeur hautement partagée, à une époque de conquête
de libertés qui ne vivait pas dans la peur ou on reconstruisait ce qui avait été
détruit.
Née dans le nid de l’Aigle, la petite Romy s’en
était envolée au loin, et avait déposé sur son passage des pépites gravées sur
pellicule.
Qui dans cent ans feront encore pleurer mais aussi rever. Astre
noir tragique illuminant nos mémoires d’enfants.
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