mardi 25 avril 2017

Les reflets sans miroir d'Isabelle A.


Nous avons elle et moi dix ans moins deux jours d’écart. Etant galant je ne vous donnerai pas mon âge. Sachez simplement que quand sortit La Gifle que je pus découvrir au cinéma j’avais sept ans. Et qu’immédiatement je m’identifiai à cette jeune héroïne bourgeoise en recherche de liberté, et qui telle la cible des élans de 68 par la génération de son père se prit aux deux tiers une baffe monumentale par Lino Ventura qui l’envoya valdinguer à l’autre bout de sa chambre.

Il m’apparait que toute la brillante carrière de la belle Isabelle fut marquée par cette gifle première, qu'un certain public friand de jugements à l’emporte pièces, une presse avide de croustillant et des paparazzis jamais en manque de harceler des artistes voulant simplement vivre tranquillement n’ont eu de cesse des décennies durant de lui administrer à son corps défendant. Rarement une actrice à ma connaissance fut autant la cible d’autant de médisances, de rumeurs, de railleries et de moqueries que la sublime interprète de La Reine Margot. Jamais n’ai-je autant entendu d’histoires « de source sure » à propos d’une actrice qu’à son sujet. Une « folle » bien sûr …Une piquée, hystérique, dépressive, hyper capricieuse, infantile et irresponsable … C’est fou le nombre de psys qu’on a dans nos carnets d’adresses…

Que diable donc leur a-t-elle fait, elle qui dans ses rôles donne tout et bien davantage, pour attirer à elle autant de violences sur une durée aussi longue ? Inutile de rappeler la grève des photographes à Cannes lors de la présentation de L’été meurtrier ou la rumeur sur son présupposé SIDA en 1986. A croire que d’aucuns l’aimeraient morte et enterrée d’oser exposer dans son jeu cette face démesurément passionnée jusqu’aux frontières de l’auto destruction, ce miroir si dérangeant pour certains qui en bouleverse tant d’autres, dont je fais bien entendu partie.

Il y a dans le rapport de cette admirable comédienne à sa propre image un fait biographique éclairant qui met bien des choses en lumière. Fille d’un père algérien kabyle  et d’une mère allemande d’origine modeste et ayant grandi à Gennevilliers, la toute jeune Isabelle fut par son père interdite de regarder son propre reflet dans un miroir pendant des années, y compris dans la salle de bains. Ce dernier, honteux de ses origines algériennes, avait pour habitude de se faire passer pour turc. Y avait-il un lien ?

Se retrouver propulsée si jeune (dès ses premières années à la Comédie Française) sous le feu des projecteurs fut donc pour elle un véritable déchirement en même temps qu’une libération. Et l’on peut imaginer que le manque originel nécessita de fort nombreuses années pour s’éclipser sans forcément disparaitre en entier. Pensez donc : privée enfant de reflet …

Ses rôles les plus forts penchent (quel hasard) vers la tragédie et la mort : Adèle H, Camille Claudel, La Reine Margot ou L’été meurtrier pour les plus connus. Avec un pic vers la folie pure zulawskienne avec l’immense et unique en son genre Possession, que l’actrice n’aura de cesse dans ses interviews de regretter d’avoir tourné. Quelques rôles de comédie ou elle excelle tout autant (Tout feu tout flamme, Bon voyage…).

Et puis de longues très longues absences en pleine gloire (5 ans d’absence après le triomphe de L’été meurtrier, tout autant après celui de Camille Claudel), une stratégie de fuite avec des rôles acceptés puis refusés, un départ à une semaine du début du tournage du Prénom Carmen de Godard, quelques films totalement insignifiants ou son talent se perdait (La repentie, Ishtar, Diabolique ou Toxic Affair). Peu d’interviews, une présence rarissime dans les émissions de télévision, à la Garbo. Et une intimité corsetée et maintenue loin des objectifs, contredite par des interviews vérité à la limite de l'analyse en direct.

Peu de triomphes, quand on s’y penche, trois  ou quatre en plus de 40 ans de carrière. Mais un statut longtemps conservé de comédienne préférée des français (dans les années 80 en tout cas, et sans doute jusqu’à la Reine Margot). et des roles, quelques uns, inoubliables et inoubliés.

Quelques pièces de théâtre retentissantes (Mademoiselle Julie, Marie Stuart, La Dame aux Camélias…) transformées en concert de rock tant les performances scéniques de l’actrice sont électrisantes, 3 sur 20 ans seulement, salles combles, petits évenements en soi, avec des rappels de trente minutes à la fin.

Des films souvent ratés depuis 10 ans et qui sortent quasiment tous à la va vite et se plantent au bout d’une semaine (à l’exception de La Journée de la jupe ou elle fut redécouverte et encensée), ce qui parait incroyable quand on songe que cette actrice, dans les années 80 et 90, était la star du cinéma français par excellence.

Bref à la fois peu et beaucoup, tant ses grands rôles et ses grandes performances auront marqué en profondeur son époque. Et que sa carrière fut par l’intéressée gérée en dépit du bon sens, c’est-à-dire à l’aulne du cœur et du cœur seul, ce que peu comprennent.

L’ayant revue tout récemment dans un très beau téléfilm, Carole Matthieu ou son talent est intact, je me suis dit que cette comédienne immense que les plus jeunes ne connaissent que via le sketch fort drôle que lui consacra Florence Foresti avait à la longueur réussi son coup en devenant enfin à son âge une comédienne parmi d’autres, sur les pas desquels miroirs et flashes ne s’acharnent plus. Son investissement artistique n’a pas changé d’un iota, elle se donne toujours autant, sans filet : sauf qu’enfin, à la longue et dorénavant attirés par de plus jeunes proies, ses poursuiveurs la laissent travailler en paix. Un droit à l’indifférence acquis de haute lutte après avoir tutoyé les sommets et plusieurs fois « touché l’fond d’la piscine ».

Comme un retour aux sources pour une toute jeune fille ayant grandi à Gennevilliers, française de sang mêlé, et qui loin de vouloir faire des milliers de couvertures de magazines, ne rêvait sans doute que d'une chose dans sa chambre d’enfant privée de miroirs : jouer. 


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