Depuis là où je suis, au cœur de l’Amérique
du Sud, je n’ai pas assisté sur les réseaux sociaux provenant d’Europe à cette litanie
émotionnelle collective ou tout un peuple 2.0 se rhabille aux magnifiques
couleurs de « Je suis Saint Petersbourg », comme ce fut le cas il y a
peu pour Londres, et avant Berlin, Paris, Orlando, Nice et d’autres. Je n’avais
d’ailleurs pas non plus eu écho d’un mouvement de fond « je suis Istanbul »
en décembre dernier quand a explosé une bombe dans une discothèque de la grande
métropole turque.
Etranges émotions à géométrie
variable ! Qu’il convient d’interroger à l’aulne de nos idéologies. Car
quoi : les russes qui hier ont péri ou ont été blessés dans le métro sont à
quelques centaines de kilomètres de Paris, et leur mort est aussi atroce que
celles de nos frères et sœurs du Bataclan. Comment expliquer que les victimes d’ici
soient nos frères et celles de là-bas laissées pour compte ? Y aurait-il hiérarchisation
dans le ressenti quant à la peine selon la nationalité de ceux qui périssent
sous les bombes ? Les assaillants sont pourtant bel et bien les mêmes, et
nous devions ce me semble nous sentir indifféremment solidaires de la même manière.
Les russes en novembre 2015 furent à nos côtes à Paris, et leur Tsar, celui que
nos medias nous ont appris à détester, également.
Nous avons fait peu de cas des
dizaines de milliers de victimes libyennes bombardées par nos armées sur ordre
de nos dirigeants. Ceux-ci et nous avec savaient mieux que personne ce que
voulait ce peuple, et nous l’avons laissé se faire détruire dans la plus grande
indifférence. Nous savions bien, nous qui lisions Le Monde, Libération et Le Point
et qui n’avions jamais mis un pied à Tripoli, qui était Kadhafi, nous le
savions bien mieux que les libyens eux-mêmes, alors nous avons assisté soulagés
a son assassinat dans des conditions atroces. Nous allions probablement laisser
se produire exactement la même chose, armés des mêmes articles de journaux, à
ce Bachar El Assad qu’on nous peint depuis si longtemps comme un dictateur
sanguinaire qui gaze son propre peuple. Quand d’aventure on nous montre de
force un petit extrait de vidéo montrant ledit Assad accueilli en héros par des
chrétiens à Alep, nous haussons les épaules et appelons cela propagande.
Nous sommes décidément très forts.
Nous ne bougeons pas de notre salon, nous ouvrons nos journaux, allumons notre
poste et nous branchons sur BFM. Et nous savions mieux que tout le monde, mieux
que les peuples eux-mêmes, ces peuples que nous ignorons, nous savons pour eux
ce qui est bon pour eux. Nous sommes si intelligents que nous savons que notre système
démocratique si parfait est ce qui leur convient, à eux qui ne l’appellent
pourtant point de leurs vœux et qui ne nous ont pas sonné. Nous sommes parfois prêts
à faire passer un irakien pour un syrien du moment qu’il rejoint une
manifestation cousue de fil blanc, autorisée cela va de soi par le Quai d’Orsay,
en faveur du renversement de l’odieux Assad.
Cette propension à prétendre savoir quand
on ignore et à le défendre mordicus contre les faits en brandissant le dernier
papier d’un Laurent Joffrin va de pair avec ces émotions à géométrie variable
dont je parlais. Elles sont le reflet et la traduction d’une idéologie ingurgitée
comme une oie ingurgite ce qu’on lui verse de force dans le bec. Avec dans ce
cas précis un accord tacite de celui qu’on gave, et une affirmation de sa liberté
claironnée avec fracas.
Le peuple russe qui hier fut frappé
dans son cœur est un grand peuple. Et l’histoire de l’amitié entre les français
et les russes devrait en ces heures sombres nous être rappelée, ainsi que ce
que nous leur devons, tant sur le plan de l’histoire récente (ils contribuèrent
au même titre que les américains à libérer l’Europe du joug nazi) que de la
culture, domaine où ils font davantage qu’exceller.
Il est frappant de constater que
notre idéologie puisse à ce point nous aveugler sur la réalité : leur
leader, ce Vladimir Poutine dont la plupart de nos pantins pour le grand mercato
de mai claironnent tels des enfants ne pas vouloir serrer la main est le fer de
lance de la lutte contre ces fondamentalistes qui veulent notre mort. Qu’il est
en la matière le seul, contrairement aux dirigeants américains et européens à
faire preuve d’une absolue clairvoyance et d’une totale intransigeance à leur égard.
Qu’il a joué un rôle majeur dans leur éviction de villes syriennes. Que
contrairement à nous il n’a jamais financé en sous-main certaines de leurs
filiales à des desseins militaro industriels. Qu’il a lors d’un discours historique
prononce devant l’assemblée des nations unies en septembre 2015 (et que chacun
pourra aisément retrouver) dénoncé les compromissions et les mensonges
occidentaux et tracé une ligne d’une grande clarté pour tâcher de prendre le
lead sur ce dossier brulant. Et que ce lead, ma foi, il l’a obtenu de fait
depuis, ce qui ne doit rien au hasard.
Alors certes me direz-vous, ce n’est
pas un démocrate, la presse n’est pas libre et les Gay Pride sont interdites à
Moscou. J’en conviens, je serais ravi que les homosexuels de là-bas puissent s’éclater
autant qu’à Paris ou Orlando. Seulement voilà. Je pense être capable d’admettre
que mon modèle n’est pas parfait et ne convient pas à tous, que l’histoire ne
va pas à la même vitesse partout et que ce que nous avons mis nous-mêmes si
longtemps à obtenir, d’autres ont le droit de le faire à leur propre rythme.
Et je suis surtout absolument
persuadé qu’une victime reste une victime d’où qu’elle soit. Et que l’ignorance,
la bien-pensance et le moralisme sont des fléaux à combattre, car ils nous
rendent capables de fondre en larmes ici et de hausser les épaules la, à propos
de situations en tous points analogues.
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