Voilà que ressurgissent, tels les
bouquets de muguet du joli mois de mai, les bêlantes injonctions, les impératives
admonestations, les bienpensantes tribunes, les enflammées déclarations, les
subtiles comparaisons, les expressément bienveillantes conjurations. Et avec
elles cette dégoulinante gelée de bons sentiments collant aux lèvres et aux
chaussures, un peu comme cette glu dans laquelle les mouches s’emprisonnent.
Et que ne peuvent, dans un dérisoire sursaut patriotique, s’empêcher ici et là
d’administrer depuis tout un camp prétendument du bien à tous les autres, pensant mieux pour autrui qu’autrui,
forcement davantage au fait, forcément plus à même de définir le remède à
prendre à son corps défendant, forcement éclaireur de consciences égarées. Et s’arrogeant
entre bruit et fureur le droit de ruer dans les brancards et de mettre ses
pieds sur la table de l’autre, cet autre, irresponsable forcément, cet
abstentionniste, forcément complice du vice qui s’en va par sa désertion nous
ramener Hitler en perruque blonde à l’Elysée.
Ces nouveaux clercs urbains sont de grands
démocrates. Ils savent mieux que toi ce qui est bon pour toi et leur voix qui
porte et tonne et résonne compte double voire triple. Peu leur sied que tu puisses avoir développé une pensée
autonome et ne pas avoir chaussé la même paire de lunettes qu’eux : tels
les illuminés de Sens Commun, ces prêtres arbitres du bon gout ont défini la
ligne à suivre, et toute dérogation sera passible de sanctions. Vote avec une
pince à linge s’il le faut, mais vote Micron.
Ces bruyants contempteurs de la bienséance près de chez vous me font parfois penser aux pensionnaires de la Veuve Vauquer dans Le Père Goriot. Jamais aussi doués pour jouer de la voix entre soi et
imposer à autrui leurs avis, ils n’ont de cesse en coulisses de médire sur ce
avec qui et quoi ils n’ont aucune empathie et d’attendre patiemment tel
Rastignac de lui piquer ses bijoux de famille.
Le sort de ces centaines de milliers
d’exclus à ce système qui ne les dessert point ou point trop les indiffère. Ces
pouilleux d’ouvriers de Whirpool qui se font faire des selfies avec Marine n’ont
qu’à se contenter des allocs qu’on leur versera et à s’adapter, notre Manu s’en
va leur trouver un recyclage tout prochainement. De quoi se plaignent-ils ces
gueux qui autrefois votaient à gauche ? Ces ploucs racistes et xénophobes
pensent mal, votent mal et s’habillent mal, on ne va quand même pas les
plaindre, nous qui avons piqué les places à Solferino entre autres pour mieux
leur apprendre à faire comme on dit et surtout pas ce qu’on fait ?
Il y a eu trahison, à gauche et à
droite, par ses partis et par ses votants acharnés, haute trahison du contrat
de base passé avec le peuple, celui-là que la mondialisation écrase et détruit,
ces familles décimées par le chômage, la misère, les allocs, le mauvais
brassage ethnique et le mépris de classe. Et celui-ci se venge par bulletin de
vote parce qu’il n’a plus que ça pour se faire entendre.
Et vous, vous lui déniez ce droit
encore et toujours. Si votre champion passe ils vont en reprendre double dose
pour cinq ans, ceux-là des banlieues ou vous ne mettez pas un pied, ceux-là de
ces campagnes fort éloignées de vos jolis centres villes bourgeois, ceux-là du
Nord, de Picardie, ceux-là des régions désertifiées et abandonnées par votre
beau modèle inégalitaire qui vous sert d’aquarium. Et la prochaine fois ils se
vengeront encore plus fort et vous perdrez. Saloperie d'illettrés alcooliques, va !
Si par contre c’est ce coup-ci, nul
doute que stupéfaits par trente ans d’aveuglement et de surdité à la cause
sociale, vous sortirez aussitôt le couteau entre les dents insulter ces
traitres parmi vous à portée de voix qui auront manqué. Vous ne vous remettrez
pas en cause, bien sûr que non, surtout pas, vous n’en êtes tout bonnement pas
capables, vous qui depuis 1983 usez et abusez de ce réflexe pavlovien du
chantage au fascisme pour mieux vous complaire dans votre camp du bien. Vous vociférerez,
vous pétitionnerez, et puis en bon petit bourgeois vous continuerez à prendre
votre ligne de métro et à payer vos impôts. En pestant comme des teignes. En plastronnant
que vous allez quitter ce pays qui ne vous mérite plus, ce pays de gueux, de
pouilleux, de racistes, de lepénistes. Et en bons va-de-la gueule vous n’en
ferez probablement rien.
Alors en attendant, faites comme bon
vous semble, balancez nous comme d’hab’ vos injonctions et vos impératifs,
continuez à nous prendre nous, insoumis de gauche ou de droite, abstentionnistes et fiers de l’être,
pour des sous-développés du bulbe et des irresponsables. Tempêtez, tonnez, rouspétez,
et petez un coup surtout. Ne vous en déplaise, nous sommes libres et en démocratie.
Et nous ferons, ne vous en déplaise, ce que nous voulons, sans faire la leçon
à personne.
Et quel que soit le résultat, la Loana brune ou le Jean-Edouard
rose bonbon, ce choix piteux qui n’était certainement pas le nôtre, nous
entrerons en résistance.
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