M’étant glisse tôt
ce matin dans la cuisine de nos hôtes, j’ai surpris ce vieux couple paraguayen âgé
d’environ 75 ans assis au milieu de la cuisine priant à voix haute Notre
Seigneur. J’en ressentis une réelle émotion qui ouvrit cette journée. Les
surprendre tous deux recueillis et demandant a la vie de veiller à ceux qu’ils
aimaient et a la bonté de chacun de leurs actes du jour : voilà ce qu’avec
leurs cœurs simples ils demandaient ainsi soudés, l’un avec l’autre, au
commencement du jour.
Cela me ramena à
mon enfance dans la maison de Prayssac, quand mon arrière-grand-mère, mère de
mon grand-père paternel Maurice était en vie. On l’appelait Mémé Cros. Elle était
fort âgée, fort ridée, très maigre, toujours de noir vêtue telle la veuve qu’elle
était depuis fort longtemps, et si vieille qu’on ne lui demandait plus son âge.
Mémé Cros avait
été toute sa vie paysanne, et croyante. De cette foi qu’on cultive et
entretient dans nos campagnes, une foi brute, sans ombres ni doute, comme un
abandon, magnifique et inconditionnel, du cœur aux aimés. Je la revois des
matins et des après-midi entières assise au même emplacement dans ce petit fauteuil
en bois au dossier dur d’où elle ne bougeait point, près de la porte fenêtre donnant
sur le jardin en pente. Elle tenait dans ses vieux doigts rides un chapelet
dont elle égrenait du matin au soir les perles, priant pour chacun d’entre
nous.
Pour nous
enfants elle était un mystère. Avec toute la cruauté des petits nous l’appelions
sous cape avec mes cousins et ma sœur la sorcière de Blanche Neige car son
visage cercle de rides nous y faisait penser. Mais Dieu qu’elle était bonne !
Il nous était possible de sauter sans retenue sur ses vieux genoux cagneux, de
la heurter, de lui tirer la moustache et ses rares cheveux blancs sans qu’elle
ne se plaigne jamais. Quand elle nous embrassait elle piquait comme beaucoup de
petites vieilles de ce temps-là, on lui disait « Mémé tu piques » et
de ses rares dents elle riait.
Son fils
Maurice, Feu mon grand-père, l’aimait follement et il put ainsi la recueillir
chez lui ses dernières années. Elle qui n’avait jamais vécu que dans une pauvre
remise sombre dont je me souviens fort bien (j’avais moins de cinq ans mais certains
souvenirs demeurent gravés étrangement pour toujours), elle qui ne possédait
rien qu’une petite pension de veuve, elle put donc s’éteindre arrière-grand-mère,
doyenne au milieu des siens, et notamment de quatre petits enfants dont trois
turbulents qu’elle embrassait et regardait tendrement.
Il est des
visages qu’on n’oublie point, pourtant près de quarante ans sont passés, comme
de gestes. Je la revois se signer sur ce vieux fauteuil, pencher son vieux cou
et s’éveiller d’un demi songe, chercher de ses vieux doigts la perle et
reprendre le fil de sa longue prière. Ne l’ayant vue partir pour l’éternité je
l’ai ainsi figée en mon cœur, cette sainte femme, cette humble paysanne, cette pénitente
au grand cœur qui illumina de son silence une part significative de mon enfance,
au point de toucher encore des décennies plus tard l’adulte que je suis devenu,
a présent comme elle capable de s’asseoir humblement sur une chaise et de
rester la immobile, quelques heures, pour prier comme elle me l’a appris.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire