mercredi 1 mars 2017

Du danger de l'introversion


Là où les extravertis éructent, les introvertis sédimentent. 

Lorsqu’une intrusion par trop déstabilisante manque de les faire vaciller, l’armure intérieure nécessaire pour conserver l’équilibre s’érige, isolant ainsi le sujet dans une bulle. Si au-dedans ça tremble, ça hésite, ça palpite, au dehors, sauf en cas extrême, le masque est posé. Seuls quelques frémissements des traits du visage trahissent l’immense trouble qui advient à celui ou celle qui, incapable de réagir avec naturel et affirmation dans certaines situations, s’est intérieurement bloqué. 

Avec les ans et les multiplications de ces agressions inévitables de la vie quotidienne et professionnelle, cette barrière se transforme petit à petit en une chaîne aussi solide qu’une geôle. Car sur le moment rien de ce qui voulait être véritablement dit ne fut exprimé. A regret, les répliques s’échouent à la commissure des lèvres, et leur accumulation au-dedans, renforçant dangereusement la nécessaire protection originelle, se retourne contre l’auteur en l’aliénant.

Il y eut forcément aux origines une violence. Quelque chose de si abrupt, si incompréhensible, si soudain et si bouleversant pour que l’enfant, se retranchant au lieu de crier hors-de-soi pour mieux l’expulser sa douleur, ne trouve alors d’autre moyen, à défaut de ne pas se faire entendre, de ne plus entendre. 

Pour autant qu’il y ait eu sacralisation ou répétition de cette violence originelle, alors très tôt la direction est prise et le caractère forgé. Il y aura mise à distance, forcément, repli, prudence, temps d’observation long avant que de s’engager, affectivement surtout. Car l’autre, oui l’autre, s’étant initialement révélé danger, il convient, pour ne pas réveiller le monstre, de contrôler expressément la situation.

Or, nous le savons, le contrôle, quand il répond à un besoin originel non compris, quand il s’est dressé non comme un désir mais comme un réflexe de survie, parvient à la longue au résultat strictement opposé à la volonté du sujet. Au lieu de le rendre léger (ce qui est encore possible pendant l’enfance, l’adolescence, le début de l’âge adulte), il le contraint à des contorsions sans fins, à des replis et à des retranchements dans bien des situations adultes où avoir prise sur le réel ne dépend pas que de soi, et où l’on est souvent jugé sur l’apparence, sur un regard, une attitude, un pressentiment. Le besoin de contrôle conduit souvent le sujet intériorisé à trahir ce qu’il tait bien malgré lui, ce qu’il ne désire en rien formuler. A ses réponses fuyantes quand il est mis sur le grill répondent ces gestes, ces expressions, parlantes. Et qui excitent parfois les désirs de destruction de ceux qui, ayant pour le coup non pas un besoin mais un DESIR de contrôle, en font des proies de choix.

Se protéger est plus que sain : salutaire. Mais se sur-protéger, être sur-protégé, ne fréquenter que des gens aptes à respecter cette règle quelque peu extrême où jamais on n’est conduit ailleurs que dans sa zone de confort habituelle est à terme dangereux. 

Vient un temps où intérieurement les ficelles ne tiennent plus, et où tous les exercices faits pour parvenir à extérioriser ne suffisent plus à contre-balancer les pertes d’énergie constatées. Le corps alors se tend, les muscles s’engourdissent, les migraines et le mauvais sommeil apparaissent. On a passé la première partie de sa vie à composer intelligemment avec des outils construits à la va vite à un âge tendre, et on découvre, trentenaire, que quelque chose ne va pas. Et le simple fait de se formuler à soi-même cela posant problème dans son système où se protéger de tout y compris d’une partie de soi-même prévaut, on prend le risque de s’enfermer davantage. 

De protectrice, la vie est devenue pesante. Et l’on n’a pas appris comment faire pour revenir à cet état de bien-être d’autrefois, celui-là de cet âge où éviter les écueils ne prêtait pas encore à conséquence.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire