Là où les extravertis éructent, les introvertis sédimentent.
Lorsqu’une
intrusion par trop déstabilisante manque de les faire vaciller, l’armure
intérieure nécessaire pour conserver l’équilibre s’érige, isolant ainsi le
sujet dans une bulle. Si au-dedans ça tremble, ça hésite, ça palpite, au
dehors, sauf en cas extrême, le masque est posé. Seuls quelques frémissements
des traits du visage trahissent l’immense trouble qui advient à celui ou celle
qui, incapable de réagir avec naturel et affirmation dans certaines situations,
s’est intérieurement bloqué.
Avec les ans et les multiplications de ces
agressions inévitables de la vie quotidienne et professionnelle, cette barrière
se transforme petit à petit en une chaîne aussi solide qu’une geôle. Car sur le
moment rien de ce qui voulait être véritablement dit ne fut exprimé. A regret,
les répliques s’échouent à la commissure des lèvres, et leur accumulation
au-dedans, renforçant dangereusement la nécessaire protection originelle, se
retourne contre l’auteur en l’aliénant.
Il y eut forcément aux origines une violence. Quelque chose de si abrupt,
si incompréhensible, si soudain et si bouleversant pour que l’enfant, se
retranchant au lieu de crier hors-de-soi pour mieux l’expulser sa douleur, ne
trouve alors d’autre moyen, à défaut de ne pas se faire entendre, de ne plus
entendre.
Pour autant qu’il y ait eu sacralisation ou répétition de cette
violence originelle, alors très tôt la direction est prise et le caractère
forgé. Il y aura mise à distance, forcément, repli, prudence, temps
d’observation long avant que de s’engager, affectivement surtout. Car l’autre,
oui l’autre, s’étant initialement révélé danger, il convient, pour ne pas
réveiller le monstre, de contrôler expressément la situation.
Or, nous le savons, le contrôle, quand il répond à un besoin originel non
compris, quand il s’est dressé non comme un désir mais comme un réflexe de
survie, parvient à la longue au résultat strictement opposé à la volonté du
sujet. Au lieu de le rendre léger (ce qui est encore possible pendant
l’enfance, l’adolescence, le début de l’âge adulte), il le contraint à des
contorsions sans fins, à des replis et à des retranchements dans bien des
situations adultes où avoir prise sur le réel ne dépend pas que de soi, et où
l’on est souvent jugé sur l’apparence, sur un regard, une attitude, un
pressentiment. Le besoin de contrôle conduit souvent le sujet intériorisé à
trahir ce qu’il tait bien malgré lui, ce qu’il ne désire en rien formuler. A
ses réponses fuyantes quand il est mis sur le grill répondent ces gestes, ces
expressions, parlantes. Et qui excitent parfois les désirs de destruction de
ceux qui, ayant pour le coup non pas un besoin mais un DESIR de contrôle, en
font des proies de choix.
Se protéger est plus que sain : salutaire. Mais se sur-protéger, être
sur-protégé, ne fréquenter que des gens aptes à respecter cette règle quelque
peu extrême où jamais on n’est conduit ailleurs que dans sa zone de confort
habituelle est à terme dangereux.
Vient un temps où intérieurement les ficelles
ne tiennent plus, et où tous les exercices faits pour parvenir à extérioriser
ne suffisent plus à contre-balancer les pertes d’énergie constatées. Le corps
alors se tend, les muscles s’engourdissent, les migraines et le mauvais sommeil
apparaissent. On a passé la première partie de sa vie à composer intelligemment
avec des outils construits à la va vite à un âge tendre, et on découvre,
trentenaire, que quelque chose ne va pas. Et le simple fait de se formuler à
soi-même cela posant problème dans son système où se protéger de tout y compris
d’une partie de soi-même prévaut, on prend le risque de s’enfermer davantage.
De protectrice, la vie est devenue pesante. Et l’on n’a pas appris comment
faire pour revenir à cet état de bien-être d’autrefois, celui-là de cet âge où
éviter les écueils ne prêtait pas encore à conséquence.
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