Je basculai à l’âge de 15 ans dans
la littérature un certain mois de juillet, dans la maison de mes grands-parents.
J’avais été jusqu’alors un dévoreur de bandes dessinées, de cette école belge, celle
des magasines Spirou et Tintin. Un simple petit ouvrage, pas très épais, ouvrit
un soir une porte, que je ne refermai plus à compter de ce jour.
Ce fut « Le joueur », un
des plus courts romans (on pourrait presque parler de longue nouvelle) de Fédor
Dostoïevski.
Qui devint mon 1er maìtre.
A peine achevé Le joueur, je
poursuivis avec L’Idiot. Puis avec Les Frères Karamazov. Puis Crimes et Châtiment,
les Possédés, Souvenirs de la Maison des Morts. Puis le reste de son œuvre.
Je devins à compter de lui un
lecteur compulsif. Lisant un livre par jour, sept jours sur sept, pendant des années.
J’y passais mes jours et mes nuits, cachais sur la table de clase l’ouvrage et lisant
pendant les matières qui ne m’intéressaient guère. A peu près toutes les heures
dites de recréation y passaient, je m’isolais le plus loin possible des autres
et entrais en ma bulle. Ce fut vécu à peu près partout comme une provocation,
cet isolement suprême et quelque peu extrême. Il fallait presque me tirer par
le bras pour que je rejoigne la table, j’écoutais à demi-mots les propos
autour, ils me semblaient alors si pauvres a cote de mes lectures.
Dostoïevski fut donc mon 1er
maitre et il le demeure. J’ai plusieurs fois lu son intégrale, à différents âges
de ma vie d’homme. Il éveilla en moi un désir profond d’interroger la frontière
entre le bien et le mal, à questionner l’extrémisme des sentiments humains ou
amour et haine, générosité et désir de destruction cohabitent dans les mêmes
personnes, à regarder avec circonspection tout désir humain à prendre le lead
sur un peuple par la tentation révolutionnaire. L’extrême noirceur présente
dans les romans du génial russe m’est toujours apparue contre balancée par une
hauteur de vue stupéfiante, à la limite du vaudou. Les pieds dans la glaise, le
regard vers les cieux.
Mon second maitre, découvert deux
ans plus tard à l’âge de 17 ans fut Honore de Balzac et sa cathédrale La Comédie
Humaine, que j’ai intégralement lu trois fois. Et dont certains romans (le père
Goriot, La peau de chagrin, le Cousin Pons ou Pierrette) comptent parmi mes
livres de chevet. Chez Balzac, je pus compléter Dostoïevski et l’appliquer à la
société française, celle du matérialisme, la France des petits propriétaires,
celle de l’argent qui corrompt les âmes. Le monde tel qu’il est expose par
Balzac dont la plume est un scalpel est d’une noirceur repoussante, pire encore
que chez le russe. Car chez Balzac, les âmes perverties ne croient en rien et détruisent
la main qui les nourrit autant par avidité que par une bêtise aussi crasse que
crasseuse. L’agneau finit souvent dévoré par un scorpion abject qui ne doit sa
force qu’a son appartenance à la caste des conformistes et à son hypocrisie. Ce
noir tableau m’instruisit tant sur le monde dans lequel j’avais baigne qu’il changea
quelque peu mon regard et il me fallut attendre l’arrivée du 3e
maitre pour prendre un peu de recul.
Ce fut donc Proust et sa Recherche.
Que je découvris a 20 ans et lus 4 fois depuis. Proust ou l’immense subtilité
de la sensibilité, et la supériorité de l’artiste-demiurge. Peu dire
que le monde qu’il peint et dont il dresse le crépuscule ne me parlait en rien.
Et pourtant : la moindre de ses phrases de trente lignes me mit (me met
toujours) en transe. Je n’ai jamais lu un auteur a ce point capable de t’entrainer
avec douceur dans les plus subtils méandres de sa pensée et de me captiver cinquante
pages durant sur la simple description d’un nom propre. Avec Proust je découvris,
après les deux autres, un écrivain capable non de décrire ou de transcender le réel,
mais de l’aspirer entièrement au point de totalement se substituer à lui.
Ce furent donc ces trois-là, et ils
demeurent, trente à trente-cinq ans plus tard, mes inspirateurs et mes amis. J’y
puise encore régulièrement en relisant quelques pages de l’un ou l’autre, non l’inspiration
mais le niveau à atteindre. Je n’aurais jamais la prétention de les égaler ou d’arriver
à la cheville d’aucun des trois, mais ne vois guère comment atteindre un niveau
un peu plus que convenable autrement qu’en visant l’excellence.
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