Presque 50 ans que la caméra de Ken Loach se pose inlassablement sur ces
petites gens, ces anonymes de la société anglaise qui font si peu rêver. Et
auxquels il prête non seulement par le biais de la fiction une vie, mais aussi
des rêves d’élévation et des grandeurs d’âme.
Car ce portraitiste minutieux qui pratique un cinéma non pas social comme
on le qualifie souvent mais humain est un optimiste qui puise à pleines mains
dans la boue du réel pour en extraire de l’or. Qui certes retrace pour les
générations actuelles, mais aussi pour les futures, la vie de ses
contemporains. Mais, loin de tout misérabilisme, qui donne aussi, surtout à
voir la face romanesque, irraisonnée, bouillante d’énergie de personnages sur
lesquels le sort s’acharne sans parvenir à les faire rompre.
Dans le dernier, Moi Daniel Blake, au delà-du portrait impitoyable du
système libéral qu’il dresse (et qui ne sera jamais aussi impitoyable que ce
dernier), il y a surtout une galerie de portraits d’êtres qui, loin de s’avouer
vaincus, non seulement se battent, mais s’autorisent tout simplement à vivre.
Et parfois à rire.
Ce Daniel Blake pris à la gorge dans un couloir spatio-temporel kafkaïen
qui se débat avec les bouts de chaîne d’un système aussi absurde qu’inhumain, jamais
il ne met genou à terre. Sitôt sorti d’une séquence qui en mettrait plus d’un
KO, le voilà qui, se redressant, s’en va épauler cette jeune mère seule et ses
deux enfants. Et l’aidant, le voilà qui se redresse. Tel un noble chevalier
inconnu, aussi discret qu’une ombre sur un mur.
C’est cela qui me rend son cinéma si cher : en ne faisant aucune
impasse, et notamment pas sur les petits bonheurs d’une vie quotidienne semée
d’embûches, le cinéaste rend leur dignité, au delà-de ses personnages, à tout
un pan de son peuple. Ceux dont on ne parle pas, ceux qui ne sont guère que des
nombres dans des statistiques, il leur offre, fidèlement, en humaniste, leur
grandeur.
Quand auront passé quelques décennies et que nos arrières petits enfants
s’interrogeront sur le monde dans lequel nous avons vécu ou que nous avons
côtoyé, ils pourront alors, découvrant l’œuvre de Ken Loach, ces quelques
trente cinq films laissés derrière nous, entrer dans nos maisons comme s’ils y
étaient. Et ils pourront alors, sur foi de ce qui fut immortalisé sur la
pellicule, se dire : Dieu que leur monde était laid, et Dieu qu’ils étaient
beaux et nobles, nos ancêtres !
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