Voilà, on est sur nos derniers jours au Brésil. Encore une semaine, le
temps de recevoir enfin une petite somme de France (ce qui s’appelle une dette
client qui date…) et on part pour le Paraguay. On fait budget serré, Blablacar,
un jour pour traverser le Brésil direction Foz de Igaçu et ses exceptionnelles
chutes. Puis on passe la frontière à la mode Manu Chao – Clandestino. Ca
évitera les frais à la con pour les coups de tampon sur le passeport de Shadow.
Le gouvernement du Paraguay n’en a parait-il rien à foutre, personne ou presque
n’y va, là-bas.
On a taché de vous faire un peu rêvé avec nos photos, normal, ce qu’on vit
est suffisamment original pour qu’on vous envoie Néo et moi de jolies cartes
postales. Sachez juste que cet effet carte postale ne fut qu’une part, celle
que nous avons choisie de vous faire partager, de ce que nous avons ici vécu.
Du fait de mes clients on s’est, à moins d’un mois de l’arrivée, retrouvés
à de nombreuses reprises dans des situations plus que préoccupantes sur le plan
fric. Quand je dis « préoccupantes » c’est un euphémisme. Je passe
sur toutes les galères qui se sont abattues sur les épaules de Néo pendant les
deux premiers mois : vol de sa carte bleue, de son smartphone, de cash,
ordinateur portable mort, sa nouvelle tablette cassée après une semaine, j’en
passe et des meilleures. C’est bien simple : pour lui, pas une semaine
sans qu’une catastrophe ne lui tombe dessus. Ce fut épique de lui maintenir la
tête hors de l’eau. Combien de fois m’a t-il dit qu’il se sentait maudit ?
Bref, sur ce plan-là, tout est enfin rétabli. Les cycles ne durent jamais
éternellement
Non, le truc de plus avoir de pognon ou presque dans un pays où très peu
parlent anglais et où la plupart de tes repères se sont évanouis, d’être dans
un hôtel et de devoir convaincre les proprios de pas te foutre à la rue, de
patienter trois jours, puis sept, puis quinze, parce que la CB yen a plus, on
en attend une autre, les sous qui devaient tomber et qui finalement tombent
avec un mois de retard, je nous revois à Rio certains soirs, on bouffait le
moins et le moins cher possible, tous les jours des pâtes, et autour ça
dévorait des trucs succulents.
Ou alors foutus dehors parce que tu expliques la situation en amont, le
lendemain ça revient à la charge après avoir dit oui, puis encore le
surlendemain, tu n’as que ta bonne foi, et ils parlent ni ta langue ni
l’anglais, à un moment la tension est telle qu’il faut qu’on parte, t’as un mec
qui jusque là était cool, limite amorphe et qui se met subitement à hurler – et
tu te retrouves sous le cagnard à trainer 20 kilos, une valise à roulettes sur
un chemin de terre, vers 13h…
Ou (oui oui on a vécu ça), à fouiller les poubelles quelques soirs pour
récupérer des fruits et légumes simplement pour économiser quelques réals.
Et puis (une nuit) dormir dehors (enfin, dormir, on a juste pas pu, merci
les moustiques, fermer l’œil de la nuit) avec tous nos bagages et Shadow dans
sa caisse… Je me revois attendre à l’aube l’ouverture du café du coin, juste
pour avaler une tasse, avec la faim et surtout le manque de sommeil.
Et puis (ça quel show) accueillis chez une fille barmaid qui voulait se
faire des sous, qui rajoutait des sommes à peu près tous les deux jours, qui
nous l’a jouée grande copine puis subitement, d’un jour l’autre, s’est
réveillée en insultant Néo sur messenger, exigeant ce qu’on ne pouvait ni
devait lui verser « ou sinon dehors » (moi elle avait les jetons,
j’ai rien eu), et on décide de se tirer à l’arrache, sans savoir où aller avec
5 euros dans les poches….
Le nombre de petites galères hallucinant sur aussi peu de temps…
Bizarrement je ne me souviens pas avoir flippé un instant. A part le matin
où on a dû dormir dehors et où on n’a pu fermer l’œil, je pense avoir eu la
tête froide à peu près tout le temps. Quand les difficultés tombaient, je
restais calme, je faisais mon job, l’air de rien, Néo me disait : tu
planes, on se faisait de belles engueulades, le ton montait puis ça
redescendait aussitôt, une heure après on se serrait les coudes.
Ces courses où tu cherches le truc le moins cher, où tu fouilles dans tes
poches à la recherche de quelques centimes pour t’acheter des clopes, où tu
regardes sur les tables des bars s’il ne reste pas une cannette de bière pas
finie…
Ben oui, on a aussi (à côté de toutes ces sublimes rencontres qu’on a
faites) vécu tout ça. Avec un peu de recul je puis le dire : je trouve ça
chouette, quand ça dure pas éternellement, la galère. Ca rend débrouillard, ça
forge le caractère.
Heureusement, il y a eu le reste, c’est-à-dire tous ceux qui nous ont aidé.
Certains depuis la France, quelques autres ici. Ces galères passagères,
incroyablement formatrices sur nous et notre aptitude à résister à l’adversité,
nous ont permis de voir le meilleur de certains, à qui je rends ici hommage,
sans les citer. Il y eut des gestes de solidarité et d’entraide superbes. Et
c’est ça évidemment que je retiens de ces trois mois si denses. Car la
nature humaine a quelque chose de somptueux, et l’humaniste que je veux rester
en toutes circonstances se doit de terminer ce billet sur ce simple constat.
Sans les autres, nous sommes si peu de choses !
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