Se choisir comme nom d’écrivain son propre nom tel que défini sur une pièce
d’identité auquel est accolé le nom de famille de sa mère n’a rien du hasard.
Ce n’est pas parce que nous vivons dans un monde régi par les lois du
patriarcat que nous devons oublier que notre identité, c’est à dire nos
fondations, doivent, quels que soit notre histoire personnelle, notre relation
à l’un et à l’autre et notre avis du moment, doit autant à l’un qu’à l’autre.
Nous sommes le fruit de deux êtres qui nous ont donné vie, auxquels nous
devons tout autant. Pour ce qu’ils nous ont donné à l’origine (la vie) et
depuis.
Dans le monde animal, les choses sont fort simples. Il y a accouplement
entre le mâle et la femelle puis reproduction. Dans la plupart des cas il
revient à la mère d’élever, c’est-à-dire de nourrir et de protéger. Le père,
dans certaines races, intervient pour compléter. Dans d’autres races, il se
contente de donner la vie, et est parfois chassé ensuite par la mère. Phénomène
que l’on peut par ailleurs observer dans certaines cellules familiales
humaines. Dans les deux cas, la procréation a bien lieu, ainsi que l’apport par
l’un ou l’autre de ce qu’il faut pour que le petit dispose des armes
nécessaires pour poursuivre sa vie.
Dans une société où la cellule familiale a éclaté (un phénomène extrêmement
récent dans l’histoire des civilisations), la séparation des parents étant
devenu au moins aussi commune que leur perpétuation en tant que couple,
l’enfant, de fait, s’est retrouvé le plus souvent placé sur le devant par le
parent restant à domicile. Le concept d’enfant roi, la civilisation où le jeune
est posé comme le centre et l’exemple sont des phénomènes récents, nés en
Occident, et qui s’inscrivent en faux par rapport à la totalité des histoires
de l’humanité toutes civilisations confondues. Elles sont pour autant une étape
évidente dans la conquête de liberté individuelle née des années 68 et
suivantes, ces années où l’on entreprit de découvrir la liberté individuelle et
l’égalité des sexes – chemins plus que respectables en soi et qui conduisirent
à mon avis à autant de magnifiques expériences que d’impasses. L’une des
conséquences de 68 ayant été la création par la caste dirigeante issue de cette
génération-là de l’ultra-capitalisme qui nous dirige et nous formate, et la
reddition sans conditions d’un nombre incroyable de ces anciens manifestants
libertaires, aujourd’hui à la tête de bien des entreprises, médias et organes
de pouvoir dominants, accrochés comme des gales à leurs maroquins.
Je fis, de mon côté, sans en tirer de loi générale, une expérience
particulière de cet appel sociétal dans lequel je fus né. Mes deux parents,
dont le mariage fut le fruit de l’amour, furent fiancés quatre ans avant que de
« commettre l’acte ». Je fus conçu le soir de leur mariage, ou peu de
temps après, je crois que ce fut le soir même du mariage. Fus donc l’aîné. Et
(vu l’attente engendrée avant ma conception) fruit de l’amour. Je vécus une
enfance dorée dans un paradis. Celui-ci se lézarda morceau par morceau à l’âge
de mon adolescence. La désagrégation du bonheur de mes parents et du magnifique
couple qu’ils avaient créé – cette lente désagrégation a duré plus de huit
années qui correspondirent à ces années où se forgent les choix de l’existence.
Ce fut dans ce creuset où j’étais en construction que les présences et
apports paternels et maternels se montrèrent défaillantes. Et ce fut grâce à
cela que je pus commencer avec bien des difficultés dans les premières années à
chercher en moi-même ce que je voulais faire de cette vie qu’ils m’avaient
donné.
Mes choix, balbutiants et au commencement fruits de refus des leurs, furent
au début et par l’un et par l’autre récusés. Cela m’offrit du fait de la
rébellion que je dus leur opposer une force que je n’aurais jamais pu développer
sans cela. Quand apparurent des années plus tard les premiers résultats
positifs nés de ces choix, l’un et l’autre surent à un moment, avec leurs mots,
acquiescer à ce qu’ils avaient récusé et apporter cette nécessaire
reconnaissance qui opéra comme un ciment sur un mur déjà construit.
Je compris plus tard que, n’ayant eu d’autre choix que de suivre ma voie, je
m’étais finalement montré fidèle à la lettre de chacune des deux lignées dont
mes deux parents étaient eux mêmes les enfants, tout en ayant conservé le
meilleur de ce que l’un et l’autre m’avaient apporté et enseigné.
Du côté de mon père, le pragmatisme paysan de son père et la foi de sa
mère, mes grands parents paternels. Et le sens des affaires, l’optimisme
forcené, l’indifférence à l’avis d’autrui, la confiance en soi irréductible du
père.
Du côté de ma mère, l’obstination en toute circonstance, le refus de plier
le genou y compris dans les moments les plus extrêmes, une sensibilité
artistique prononcée, et un absolu refus des convenances dès lors que celles ci
entraient en collision avec sa propre liberté. Du côté de ses parents, mes
grands parents maternels que j’ai à peine connus, tous deux héros de la
résistance de la première heure
médaillés : eh bien cela, l’esprit de résistance. Y compris dans
les cas extrêmes.
Je ne sais ce vers quoi ce cocktail aboutira – je veux dire in fine. Je
sais simplement que je m’essaie dans mon quotidien, à un âge où trouver la
sérénité et le point d’équilibre sont devenus la seule chose nécessaire, car à
la cinquantaine on se connaît bien et on s’accepte tel qu’on est – que je
m’essaie à trouver ce point d’équilibre en ce que je dois à l’un et à l’autre
de ces deux noms, ces deux branches auxquelles je serai toujours rattachées,
tout en cultivant ma petite musique qui n’est pas la leur et m’est propre. J’ai
été, et j’en sais gré à mes deux parents, le contraire d’un enfant roi pourri
gâté adulé, et ai su de chaque épreuve tirer des enseignements utiles et
surtout de la force. L’amour que j’ai reçu m’a autant apporté que celui qui
m’aura été à tel ou tel moment refusé. C’est, selon l’expérience qui est
mienne, la limite évidente d’une société purement libertaire : on désarme
ceux qu’on aime à trop les aimer pour soi-même et ce qu’ils vous apportent, et
on aide bien mieux sa progéniture en sachant parfois lui opposer son bon
vouloir, ne serait-ce que pour lui apprendre à construire sa liberté pied à pied.
Car les cages les plus aliénantes desquelles nous devons, adultes, apprendre à
nous défaire, ne sont aucunement celles où les autres cherchent à nous entraîner,
mais celles que par jeu de négligences nous avons nous-mêmes construites.
Très beau texte, hommage à vos parents. Je sens le lien indéfectible.
RépondreSupprimerJ'écoute et regarde depuis quelque temps vos vidéos. J'avais besoin d'aller vous lire. Je ne suis pas déçue.. Continuez, vous me rassurez sur ma place dans ce monde.
Janis Lili