mercredi 18 janvier 2017

Choisir son lectorat

Ecrire et s'exprimer en toute liberté implique de laisser chacun lire et écrire ce qu'il veut, et bien entendu ne pas être lu et/ou ne pas lire tel ou telle. Mais aussi s'autoriser à évacuer de son lectorat comme de sa vie toute personne dès lors que l'on a acquis la conviction que l'un de ses sports favoris est d'aller fouiller dans la vie d'autrui, dans son intimité (tout du moins ce qu'elle perçoit comme intimité) à des fins, je n'oserais dire de malveillance, mais de conciergerie hanounesque. 

J'en ai connu, et de près, dont la vie, insatisfaisante et quelque peu incolore, vivaient par ce prisme déformant et passaient un temps fou à aller fouiner ici et là, dans l'univers virtuel. Ces benêts peu méfiants au final ne pouvaient à tel moment s'interdire de trahir leurs pratiques, tant leurs propos se ramenaient à ça. Non à la vérité des êtres qu'ils fréquentaient et dont ils se disaient proches, mais à ce qu'ils exposaient. Ce reflet, cette imitation projective du réel avaient pris une place considérable dans leurs vies, au point d'être tout bonnement inaptes à suivre un échange plus d'une minute sans pianoter sur ce minuscule écran leur tenant lieu de fenêtre sur le monde. 

Face à cette comédie humaine qu'un Balzac des temps modernes aurait sans doute zébré de ses impitoyables descriptions, quiconque s'est donné pour mission et savoir-être de s'exprimer en toute liberté et aussi d'écrire pour ses contemporains le plus honnêtement possible se doit de tenir compte de cette réalité, de la connaître intimement, d'apprendre (ce dont j'ai pu à quelques reprises me délecter, c'est-à-dire jouer littéralement avec, jouer avec les masques, la réalité, le regard de certains ...) à surfer avec cet outil et ses dérives, toutes ses dérives. 

Il n'est plus possible de prétendre écrire comme on le faisait autrefois, il n'y a pas si longtemps - dans le sens être lu, compris, par la multitude, dès lors que celle-ci a pris cette direction. Le lecteur-zappeur-qui-se-reveille-avec-ses-applis passe sa journée à lire et à écrire en diagonale, à penser et à s'informer en diagonale, à aimer en diagonale, à rencontrer une image désincarnée qu'il nomme l'autre et qui n'est personne. Ce lecteur-là, je le dis, vraiment, ne m'intéresse en rien. Il est pour moi un non être asservi qui s'est comme dans 1984 enchainé à un semblant de liberté qui l'a isolé du monde, de son époque, de ses contemporains, et de bien d'autres choses encore. J'en suis en tant que frère humain désolé, sincèrement désolé pour lui. Et l'ai donc sorti de ce jeu dans lequel lui et moi n'avons aucune raison de partager quoi que ce soit.

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